Le rosé de nos terroirs conquiert l’Amérique. En mission fin juin à New-York pour présenter les vins aux cavistes, importateurs et journalistes, Alain Baccino, président du CIVP* et vigneron engagé s’est confié sur place pour Bleu Tomate sur son éthique bio.
Pour Alain Baccino, l’approche bio est un état d’esprit érigé en (viti)culture. Même si elle ne constitue pas l’objet principal des opérations de promotion à l’export du CIVP, elle est en filigrane des arguments déployés pour vanter la « Provence touch ». D’autant qu’aux Etats-Unis, et surtout à New-York, « l’organic » n’est pas inconnu.
Certains cavistes prônent le bio sinon rien, d’autres ont plusieurs références « organic » parmi les centaines de bouteilles qui s’étalent dans leurs rayons**. Majoritaire sur le marché du rosé, la Provence rayonne aux Etats-Unis, avec un engouement visible jusque sur les panneaux des grandes avenues. Loin d’un effet de mode, c’est le résultat d’un marché parfaitement markété par les producteurs et négociants. Le bio en profite pleinement, ce qui réjouit Alain Baccino.
Transition écologique
« Penser bio est un point de départ essentiel, mais il faut aussi en faire un objectif. Pour avoir vu toute mon enfance mon père manipuler des produits dangereux dans la vigne sans se douter qu’il (se) détruisait la santé, je me suis dit que je ne voulais pas de cela. Dès mon installation en 1991***, faire du vin bio a été mon grand dessein. J’ai mis 20 ans à y arriver ».
Un long passage difficilement compressible selon ce vigneron expérimenté, qui a évolué avec abnégation, respectant des cycles progressifs pour mieux trouver son modèle économique lié à sa transition écologique. « Il faut considérer deux années de plus que les trois ans conformes au cahier des charges pour être parfaitement opérationnel et trouver son rythme. Cela nécessite de s’y préparer à tous niveaux, psychologiquement, en termes de logistique, de temps de travail, de coûts… ».
Choix de vi(gn)e
Si Alain Baccino a constaté il y a une vingtaine d’années que la Provence agricole commençait à prendre le virage bio, il a pu mesurer le temps d’inertie entre la première décennie durant laquelle les pionniers passaient pour des illuminés et la deuxième, qui a ancré cette transition de « façon sérieuse et irréversible ».
Le département du Var et la Provence ont pour l’heure déjà atteint les objectifs nationaux de 2020, affichant 20% d’exploitations converties. Un résultat dont il n’est pas étranger puisqu’il a présidé la commission bio de la Chambre régionale d’agriculture durant trois ans en essayant d’accélérer la prise de conscience.
« Certes, notre climatologie nous facilite la tâche, avec un mistral salvateur, mais c’est aussi un choix de vie, d’entreprise, d’éthique personnelle. Si l’on n’est pas capable d’avoir pour soi-même cette envie, on n’arrivera pas à s’inscrire dans la durée. La quête est permanente, les marges de progression importantes. Cela étant, les aides au maintien du bio qui accompagnaient celles à la conversion sont réservées désormais aux zones sensibles. La réduction des financements publics n’est pas une bonne nouvelle ».
Dommage de baisser ainsi la garde alors que la demande progresse, notamment dans les marchés d’Europe du Nord et américains. « Ces derniers sont très friands de vins « organic » et de plus en plus amateurs de rosé de Provence. Il faut leur expliquer à quel point nous respectons l’environnement et sommes leaders en vins bios. Cela témoigne de nos valeurs, de notre engagement vers la qualité. Au pire, nous élargissons la gamme et ajoutons du relief. Au mieux, cela contribue à convaincre du bien fondé de la démarche. Au milieu du gué, cela entre dans la storytelling et complète l’argument de vente des vins de Provence… ».
De la terre à la lune
Pour Alain Baccino, il est possible de construire une argumentation solide de promotion du bio sans détruire ce qui est différent et ceux qui font autrement. Une considération qui évite la posture de donneur de leçons et rend peut-être plus facile le prosélytisme.
Il est persuadé que l’on peut « améliorer la technique, la pratique, réduire les complications du système, mieux promouvoir les vins et la vie en bio ». Alors que sa présidence du CIVP**** s’achève et qu’il ne se représentera pas l’an prochain à la tête de la Chambre d’Agriculture du Var après 12 ans de présidence, il aimerait porter un nouveau challenge dédié au bio. « C’est bon pour la santé du sol, des applicateurs, des consommateurs. Bon aussi pour l’économie du vin, l’œnotourisme… ».
Et la biodynamie ? « J’y viens, sur quelques hectares de test dans mes vignes, mais il faut être très précis, en technicité, en organisation des équipes. Tout le monde, y compris la règlementation du travail, n’est pas forcément disponible quand la lune est descendante et favorable… ».
Quand on est habité par la passion, wine is vraiment « biotiful », de la terre à la lune !
Olivier Réal
Pour aller plus loin :
* CIVP : Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence
** Le marché américain a représenté 23 millions de bouteilles de rosé de Provence en 2017, une croissance annuelle à deux chiffres ces dernières années
*** Alain Baccino manage en famille, avec sa femme Véronique et ses deux filles Audrey et Leslie, le Domaine des Peirecèdes à Cuers-Pierrefeu et le Château La Tulipe Noire à La Crau-Carqueiranne
**** Jean-Jacques Bréban a succédé à Alain Baccino à la présidence du CIVP le 5 juillet dernier