L’agriculteur cultive en bio depuis plus de 25 ans cet agrume à l’arôme puissant et délicieux. Hybride de l’orange amère, ce fruit dont 90% de la production mondiale est concentrée en Calabre, fait le bonheur des parfumeurs et des sociétés alimentaires.
Depuis Reggio de Calabre, grande ville de la province dominée au delà du détroit de Messine par sa majesté l’Etna, il faut suivre la côte vers le sud, sur quarante kilomètres. Puis quitter le littoral brûlé par le soleil pour remonter la basse vallée du fleuve Amendolea. Vingt minutes de route encore le long d’un large lit aux galets blanchis par des millions d’années de polissage et d’exposition solaire et nous y voilà.
Les bergamotiers d’Ugo Sergi (au second plan), s’étendent sur une terrasse au dessus du lit du fleuve Amendolea. (©Philippe Bourget)
C’est là, au bord de ce cours d’eau capricieux surnommé le « Serpent d’Argent » que se niche l’exploitation d’Ugo Sergi, Il Bergamotto. 25 ha légèrement surélevés au dessus du cours d’eau, dont 12 ha d’oliviers et 7 ha de bergamotiers. Si l’olive appartient depuis des millénaires au paysage méditerranéen, la bergamote, elle, est une rareté. Plus de 90% de la production mondiale est concentrée ici, sur une bande de 100 km courant de Reggio de Calabre à Locri, au bord de la mer Ionienne.
La ferme d’Il Bergamotto, vieille bâtisse agricole du sud de la Calabre. (©Philippe Bourget)
Récolte entre novembre et février
Le champ arboricole d’Ugo Sergi s’étend sous la vieille demeure paysanne en pierres et en briques. D’une hauteur moyenne, avec des feuilles d’un vert intense, les bergamotiers portent encore en ce mois de juin quelques fruits rescapés de la récolte d’hiver. Ils sont généralement cueillis entre novembre et février, quand l’écorce jaunit sous l’effet du froid.
Ugo Sergi dispose aussi d’hébergements sommaires d’agritourisme. (©Philippe Bourget)
Peu comestibles car très amers, les fruits sont amenés dans un atelier de transformation. Raclées par des rouleaux mécaniques et arrosées d’eau, les peaux produisent des micros pelures qui forment une sorte d’émulsion. Celle-ci est ensuite filtrée et centrifugée pour donner l’huile essentielle. A Reggio de Calabre, l’entreprise Capua est spécialisée depuis 1880 dans cette transformation.
Huile essentielle, cosmétiques, thés…
La production d’Ugo Sergi, garantie sans aucun intrant, n’échappe pas au large éventail d’usage de la bergamote. « Je produis de l’huile essentielle mais aussi des cosmétiques et des thés aromatisés. J’en vends jusqu’aux Etats-Unis et même au Japon et en Corée du Sud », témoigne l’agriculteur.
Ugo Sergi, devant l’antique meule à broyer les olives. (©Philippe Bourget)
En plus de s’occuper de ses quelques 300 bergamotiers, Ugo Sergi tient boutique dans l’antique pièce à vivre de la maison familiale. Près d’une vieille meule à broyer les olives, une simple armoire contient toute la palette de saveurs pour lesquelles l’essence de bergamote est utilisée : les liqueurs, encore meilleures que le célèbre limoncello de Campanie ou de Sicile ; les thés, on l’a vu ; les biscuits ; les confitures ; les pâtes – succulentes ! – ; les bonbons ; l’huile d’olive parfumée ; les savons…
Marché français le plus demandeur
Comme beaucoup de Calabrais avant lui, Ugo Sergi a « craqué » pour la bergamote. Il y a plus de 25 ans, l’homme a quitté son métier d’avocat pour reprendre la ferme familiale, héritée de sa branche maternelle. Il a pu constater au long de ces années combien ce fruit et son huile suscitaient les passions.
Une production à base de bergamote qui va des liqueurs aux biscuits, en passant par les confitures et les tisanes. (©Philippe Bourget)
« Les parfumeurs, les groupes agro-alimentaires se l’arrachent. A l’export, c’est le marché français qui est le plus demandeur ». Quant à savoir pourquoi l’arbre pousse ici sans problème et est si difficile à implanter ailleurs, mystère… « On ne sait pas comment cette plante a bien pu choisir la zone la plus au sud de la Calabre, en particulier la côte ionienne de la province de Reggio, pour croître et fructifier de manière quasi exclusive. De nombreuses tentatives pour l’introduire dans d’autres régions d’Italie, d’Europe, d’Asie, d’Amérique, n’ont guère été concluantes. En Afrique, elle est marginalement cultivée dans une région de la Côte d’Ivoire et au Maroc », raconte Ugo Sergi.
Les bergamotiers : des arbres de taille moyenne, toujours verts.
Eau de Cologne
Sans doute l’explication est-elle à chercher dans un subtil équilibre entre plusieurs facteurs naturels : le microclimat local, chaud et humide l’été et pluvieux l’hiver ; les différences de températures diurnes et nocturnes faibles ; l’effet du sirocco ; la richesse des sols alluviaux en substances minérales ; l’eau ; l’exposition plein sud…
Apparu au milieu du 17ème s. dans la région, le bergamotier serait issu d’une mutation naturelle de l’oranger amer. A partir du 18ème siècle, sous l’impulsion d’un parfumeur italien installé à Cologne, est extrait l’essence de bergamote pour produire la première… eau de Cologne (« aqua admirabilis »). Le fruit va prendre son envol et être utilisé en parfumerie et en cosmétologie. Mais pas seulement ! A Nancy, on invente à la même époque les bonbons à la bergamote. En Angleterre, un lord, Sir Grey, aromatise des feuilles de thé à l’essence de bergamote. Le Earl Grey est né.
Quelques fruits rescapés de la récolte précédente…(©Philippe Bourget)
Vertus anti-cholestérol
La ferveur va se poursuivre jusque dans les années 1950, lorsque les produits de synthèse font leur apparition en parfumerie. La bergamote passe alors de mode. Il faut attendre le retour aux produits naturels des années 1990-2000 pour que le fruit redevienne tendance. L’huile essentielle est « redécouverte » par les grands parfumeurs. Les producteurs alimentaires en demandent à nouveau. On lui prête des vertus pour lutter contre le cholestérol, le stress, les problèmes osseux et musculaires…
« AOC » depuis 2001
Sa nouvelle notoriété est récompensée par l’obtention en 2001 d’une DOP (Dénomination d’Origine Protégée), l’équivalent italien de notre AOC. « L’or vert » est produit aujourd’hui sur environ 1 300 hectares. Plus de 1 000 agriculteurs comme Ugo Sergi cultivent bon an mal an 22 000 tonnes de ce fruit dont la quasi-totalité est utilisé pour la production d’huile essentielle (soit environ 110 t par saison). Miss Dior, de Chanel, en contient. De même qu’Eau de Rochas, Coco Mademoiselle Intense, Black Opium (Yves Saint-Laurent), Shalimar (Guerlain)… La bergamote, un Graal venu des tréfonds de la Calabre rurale.
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Pour aller plus loin
Il Bergamotto
Amendolea
89030 Condofuri
ugosergi@yahoo.it
Tel: (+39) 0965727213
