Les 15 et 16 octobre à La Haye, des juges, des victimes, des témoins, des experts ont fait le procès d’un accusé absent, le semencier Monsanto. Enjeu : la création du crime d’écocide.
Françoise Tulkens, ex-vice-présidente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, a dirigé le tribunal constitué de 5 magistrats professionnels. A la barre, une trentaine de témoins. Venus d’Argentine, d’Afrique, de France ou du Sri Lanka, ils racontent les maladies, les enfants malformés, les terres détruites, les eaux polluées mais aussi les études scientifiques dénigrées, les intimidations et agissements d’une firme qui produit le Round Up ou le Lasso.
Monsanto condamné en France
Le Lasso est cet herbicide dont l’agriculteur français François Paul a été victime en 2004. L’homme est épuisé par la maladie et plus de 10 ans de combat contre Monsanto. Mais il a été reconnu malade à cause du pesticide par la justice française. Alors que beaucoup d’autres renoncent ou sont empêchés de réclamer justice. (De nombreux témoignages sur le site de Reporterre.)
Monsanto absent
Un procès sans accusé. La firme n’a pas daigné participer. Elle s’est contenté d’un communiqué contre « les dénigreurs de la technologie en agriculture (…) qui détournent l’attention de discussions essentielles sur les besoins en alimentation et en agriculture dans le monde… ». A cette lettre, les organisateurs du tribunal Monsanto ont donné une réponse argumentée.
Un tribunal moral
A l’issue de ces heures de témoignages, des pages et des pages de dossiers et d’études scientifiques, les juges ne condamneront pas Monsanto. Car ce tribunal, à l’initiative de personnalités et d’ONG du monde entier, n’a pas d’existence légale. A l’image du tribunal Russel (réuni en 1966 sur la guerre du Vietnam puis en 2009 sur le conflit Israël/Palestine), il est porté par la société civile et s’appuie sur un droit international soit non encore abouti soit non respecté.
Changer le droit
Cette initiative populaire internationale va encourager des juristes du monde entier à se saisir des principes directeurs relatifs aux Droits de l’Homme et des entreprises, énoncés par l’ONU en 2011, ou des conventions internationales qui reconnaissent le droit à l’alimentation, à un meilleur état de santé, ou encore à la liberté de recherche scientifique.
Créer le crime d’écocide
Autre approche, celle de la Cour Pénale Internationale, instance officielle celle-là (et qui siège justement à La Haye). Chargée de poursuivre les auteurs de génocide, crimes de guerre et d’agression et crimes contre l’humanité, elle pourrait élargir sa compétence aux crimes d’écocide.
Et maintenant ?
Les juges du Tribunal Monsanto vont émettre un « avis consultatif » autour du 10 décembre, journée internationale des droits de l’homme. Cet avis sera adressé à l’ONU et à Monsanto.
Un texte pédagogique pour faire avancer le droit,. Objectif : jeter les bases de ce crime d’écocide depuis si longtemps discuté et pas encore constitué. Un droit de l’environnement qui reste à développer, en définissant la responsabilité des entreprises, face au droit des personnes à un environnement sain.
Déjà des retombées
En tout cas, ce tribunal citoyen aura d’abord permis de partager témoignages et expériences. Il aura ensuite tiré de l’anonymat et de la solitude des milliers de paysans et d’habitants du monde aux prises avec le géant de la semence. Il aura enfin favorisé la mise en place d’actions transnationales. Comme souvent, l’évolution du droit est portée par la société civile. Le Tribunal Monsanto sera certainement une étape importante sur ce chemin.