Dernier volet de notre série sur les rencontres des fermes municipales tenues à Mouans Sartoux (06) les 20 et 21 juin. Après le témoignage des élus, (lire ici et là), la parole aux maraîchers et chefs de cuisine, en première ligne pour fournir des repas bio et locaux. Pas si simple !
Il a passé trente années à exercer son métier de chef de cuisine y compris auprès de chefs étoilés Michelin. Mais depuis deux ans, Patrick Lambolez officie –avec bonheur- en tant que chef à la mairie d’Epinal.
« A l’heure actuelle, j’ai la chance et l’opportunité de travailler des produits qui sont d’une grande fraicheur et de grande qualité, se réjouit le chef. On a l’avantage d’avoir des légumes et des fruits cueillis du matin même, ce que l’on n’a pas forcément par le biais d’un autre circuit d’approvisionnement ».
Et puis la culture bio garantit aux jeunes convives des cantines « une qualité nutritive bien supérieure à ce qu’on trouve dans le circuit traditionnel » poursuit Patrick Lambolez.
Stocker durant l’été
Alors bien sûr le chef doit s’adapter à l’approvisionnement, et pas l’inverse. Et quand la météo avance ou retarde les légumes prévus pour la semaine, à lui de se débrouiller pour « nourrir les gamins », comme il le dit dans un sourire. Proposer un légume à la place de celui qui était prévu, quitte à inscrire sur les menus « salade de saison » ou « poêlée de légumes », sans plus de précision !
Parmi les difficultés de calendrier, celle de l’été qui voit les fermes municipales produire au maximum, quand les écoliers sont en vacances, et les restaurants scolaires en moindre demande. « J’en profite pour faire des conserves », précise le chef de cuisine d’Epinal. Sauces et coulis de tomates et de fruits seront stockés et servis en hiver.
« On déroule la pelote du monde »
Jean-Marc Mouillac est lui aussi chef de cuisine. A son actif, la première école certifiée par Ecocert en 2016, en Dordogne ! Aujourd’hui, il a pour mission de former les trente-cinq chefs des collèges du département. Fervent partisan des produits bruts, qui permettent selon lui d’éviter les surcoûts, il prône une alimentation saine. « Donner du bio à des enfants, c’est dérouler la pelote du monde, on déroule la vie. Quand on passe à 100% bio, on ne peut plus revenir en arrière ! »
Si pour les chefs de cuisine le passage au bio et local nécessite le plus souvent une formation et beaucoup d’investissement dans de nouvelles pratiques, pour les maraîchers, c’est carrément un changement de statut que proposent les fermes municipales. Celui d’employé communal. Avec ses avantages et ses inconvénients.
Salaire régulier et vacances
Rémy, jeune maraîcher installé à Marseille est venu aux Rencontres de Mouans Sartoux pour en savoir un peu plus. Séduit par la sécurité de l’emploi et du salaire régulier, il craint un peu une perte de liberté dans son travail.
Johann Donnat lui, a déjà eu l’expérience de la ferme municipale. A la veille de prendre un poste dans une commune du Gard, l’ancien paysagiste ne cache pas sa joie. Même s’il doit changer de région avec toute sa famille, un petit saut dans l’inconnu.
« Je suis passionné de maraîchage mais j’avais tiré un trait, trop de travail et pas de rémunération, l’accès au foncier impossible… Avec ce projet, c’est le top ! Je le souhaite à tout jeune maraîcher. On a la sécurité financière et pas de soucis de commercialisation, on peut tenter des choses ».
Autre intérêt pour Johann, le projet de la collectivité auprès des scolaires. « Le projet pédagogique inclut les visites à la ferme, les relations avec les enfants. Leur donner une alimentation plus saine, plus proche, avec moins d’impact sur l’environnement » tout en ayant un salaire régulier et des vacances, autant de raisons d’être motivé pour le jeune maraîcher.
Agriculteur communal, un métier à inventer
Au chapitre des désavantages, Johann note l’absence de statut d’agriculteur. Ce qui signifie pas d’interlocuteur agricole en terme technique par exemple, et pas droit aux formations. Et bien sûr, « on n’accumule pas de capital » poursuit le futur employé communal qui va commencer par des CDD. Malgré tout, il considère que chaque mairie devrait avoir sa ferme et y pratiquer la pédagogie.
Invité aux rencontres de Mouans Sartoux, Kamel El Hilali, docteur en droit public a apporté des solutions alternatives aux questions juridiques. Comme celle de la création d’une fonction publique agricole, qui offrirait à la fois les conditions d’une « vie banale » aux maraîchers et aux communes l’opportunité de développer les cultures bio et locales sur leur territoire.
Car à l’inverse d’un maraîcher qui ne peut se permettre de perdre une récolte, les fermes municipales rompent cette solitude. Elles peuvent être le terrain de tests, d’expérimentation, voire d’échecs.
Champ, assiette, climat
Avec leurs qualités et leurs limites, les fermes municipales -qui cultivent en bio et fournissent localement- sont nées des besoins locaux. Elles espèrent bien essaimer. Les rencontres de Mouans Sartoux devraient s’enraciner. Le réseau est constitué, il va se faire entendre auprès des instances nationales et européennes. Financements, nouvelle réglementation mieux adaptée -sur les statuts, le foncier, les règles de marché-, soutien technique et scientifique sont nécessaires.
Enjeu, la santé de nos enfants et de tous les habitants, la préservation des ressources comme l’eau, la biodiversité et les sols mais aussi la réduction des gaz à effet de serre et la lutte contre le changement climatique. Elle est pas belle ma cantine ?
« Les Pieds dans le Plat »
Jean-Marc Mouillac est membre de ce collectif. Il regroupe cuisiniers, diététiciens, personnels de l’éducation nationale, spécialistes des marchés publics ou encore chercheurs en sciences sociales. Objectif : former à donner une alimentation saine.
Nourrir l’avenir
Le collectif s’appuie sur une SCIC « Nourrir l’avenir ». L’entreprise coopérative propose, dans toute la France, des formations et un accompagnement tant auprès des élus et gestionnaires de cuisine que des chefs, et de leurs équipes ainsi que des parents d’élèves.
Il s’agit pour « Les Pieds dans le Plat » d’offrir une restauration collective faite maison, bio, locale et de saison. Enjeux ? La transition alimentaire dans le pays. Et à travers elle, la transition écologique et sociale.