Depuis 10 ans, Adrien Roig et Marjorie Blanc dirigent à Lambesc (13) La Ferme de Cabrières, une exploitation de fruits rouges bios, transformés en confitures, sorbets et sirops. Partenaires de la Fête de la Science, ils expliquent comment les effets du réchauffement climatique les obligent à adapter leur modèle.

Le plateau calcaire entre Lambesc et Saint-Cannat est une terre à vignes et à cultures maraîchères. C’est sur ce substrat fertile, à deux pas de l’ex Nationale 7, que Marjorie Blanc et Adrien Roig ont lancé il y a 10 ans leur ferme de production de fruits rouges. Une « anomalie » agricole, ces arbustes étant plutôt habitués aux terres humides et forestières de Bourgogne, du Jura ou de Picardie.  

Production en deux à trois ans 

« Nous avons fait ce choix parce qu’il s’agissait d’une culture facile à entreprendre sur une petite surface, avec peu de mécanisation et une production possible en deux à trois ans, alors qu’en arboriculture, il faut attendre six ans. L’étude de marché a aussi montré que nous évoluerions sur un secteur moins concurrentiel que le maraîchage ou l’arboriculture, où ça se tire la bourre », rappelle Adrien Roig.

Adrien Roig devant l’une de ses parcelles de fruits rouges. Crédit Philippe Bourget (Photo de Une : Adrien Roig et ses plants de mûriers djumbo, un mûrier-ronce sans épine à gros fruits. Crédit PB).

Première alerte en 2019

Framboisiers, muriers, groseilliers, cassissiers, fraisiers, caseilliers… sont donc plantés sur deux hectares de terrain. Jusqu’en 2019, tout se passe bien. « En juin de cette année là, lors de la canicule, nous rentrons d’une fête à Marseille. Alors que nous nous apprêtions à cueillir les groseilles et les cassis, les fruits avaient brûlé. C’est comme si on avait tout mis dans un four. La totalité de la récolte a été perdue. Cela a été la première réelle alerte », se souvient Adrien.

Dates de récolte avancées

Il y en aura d’autres. « Tous les ans, on a commencé à voir de petits décalages, avec des dates de récolte avancées. Cet été, par exemple, nous avons récolté les mûres en juillet et non en août. Seuls les framboisiers ont échappé à cette précocité. Quand il a commencé à faire très chaud, la plante s’est mise en veille. Du coup, elle produit longtemps, de juin à début novembre. Alors qu’au nord, la récolte est plus abondante mais plus courte ». Joignant le geste à la parole, Adrien, chapeau de paille sur la tête, nous entraine vers sa parcelle de framboisiers. Nous sommes en octobre et des fruits verts, déjà visibles, n’attendent qu’un coup de soleil supplémentaire pour mûrir avant la Toussaint…

Avec le réchauffement climatique, les framboisiers produisent encore en octobre. Crédit PB.

Tendance à la résilience

Cet été, la chaleur précoce a également eu un autre effet. En l’absence de ses prédateurs habituels, les araignées ou les coccinelles, la « mouche orangée » s’est attaquée aux framboisiers. « Elle pond dans la tige, la fragilise et au premier coup de vent, elle se casse, entrainant une perte de production. C’est probablement un des effets du dérèglement climatique », pense Adrien. Qui relativise… « Cette année par exemple, nous  n’avons pas eu de mouche drosophile, qui ramollit les fruits. A-t-elle subi ce dérèglement ? Certains parasites trouvent dans ce changement un terreau plus favorable, d’autres non. Les plantes aussi s’adaptent, elles ont une tendance à la résilience ».

Ombre portée naturelle

Il n’empêche que La Ferme de Cabrières a dû réfléchir à son avenir. Et d’abord en pensant aux moyens de « contrer » ce réchauffement. Une première piste est imaginée avec l’installation d’ombrières. « J’ai envisagé cette option mais l’investissement n’est pas amortissable pour une exploitation comme la nôtre. La meilleure solution est d’avoir une ombre portée naturelle plus importante, pour protéger les plants du soleil. C’est pourquoi j’ai planté des arbres fruitiers au milieu des arbustes », dit Adrien. Pêchers, abricotiers, pommiers… scandent désormais les rangs de fruits rouges.

Au milieu des framboisiers… Crédit PB.

Terres craquelées

Adrien s’interroge aussi sur l’irrigation, les fruits rouges ayant besoin de beaucoup d’eau.  « J’observe de plus en plus tôt l’apparition de terres craquelées. Mes arbustes auraient besoin de plus d’eau mais je suis limité en capacité avec le canal de Provence. Peut-être faudrait-il que j’opte pour une brumisation nocturne des feuilles mais je ne suis pas équipé ».

Domaine en reconstruction

Au-delà, se pose la question du modèle agricole choisi, « les fruits rouges [n’étant] pas en Provence dans leur zone de rusticité ». D’où le choix d’une diversification agricole vers des produits plus méditerranéens. « Le domaine est en reconstruction. Nous produisons déjà du safran et des plantes aromatiques. On a aussi planté des figuiers, 140 oliviers et un espace est en train d’être transformé en parcelle de forêt comestible à vocation pédagogique. Nous voulons évoluer vers l’accueil éducatif et touristique », explique Adrien. Une réorientation nécessaire pour assurer une pérennité économique à un domaine impacté par les bouleversements météos.

La forêt comestible à vocation pédagogique commence à prendre forme. Ici, un mûrier. Crédit PB.

Pour aller plus loin

La Ferme de Cabrières, une histoire et un modèle singuliers

Ancien salarié de l’ADEME PACA (Adrien) et ex responsable de ressourcerie (Marjorie), le couple, parents de trois enfants, s’est installé sur une propriété de polyculture et d’élevage à l’abandon qui appartenait à la famille de Marjorie. Autour d’un bâtiment agricole du 16e siècle, rénové et isolé avec des matériaux écologiques, il s’est lancé dans l’exploitation de fruits rouges. S’y ajoutent désormais une production arboricole et une « forêt comestible ».

Boutique et terrasse pour déguster

Le modèle est fondé sur une production exclusivement biologique, transformée sur place dans un laboratoire en confitures, sorbets et sirops. Ces produits sont vendus à la ferme dans une petite boutique, où l’on trouve aussi plantes aromatiques, herbes séchées, gelées… Marjorie et Adrien reçoivent le public pour déguster sorbets maison et boissons. Une terrasse ombragée avec tables, installée près d’un enclos avec quatre chèvres et moutons, est adaptée pour un moment de détente en famille. La ferme dispose aussi d’un gîte de 60 m².

Les clients peuvent venir cueillir eux-mêmes leurs fruits rouges, comme ici sur un caseillier, hybride entre le cassis et la groseille à maquereaux. Crédit PB.

Libre cueillette et accueil pédagogique

Au-delà, Marjorie et Adrien vendent leur production dans un rayon de 80 km maximum, dans les réseaux de magasins bios et locaux (Biocoop, Bio c’ Bon, Marcel & Fils…). Ils mettent également l’accent sur la « libre cueillette » et l’accueil pédagogique. De mai à septembre, les mercredis et samedis, le public peut venir ramasser les fruits rouges. Dans le cadre du réseau RACINES PACA, la ferme reçoit des publics divers, professionnels et sociaux, pour une sensibilisation à l’agriculture.

Fête de la Science, rendez-vous samedi 15

A l’occasion de cet évènement (7-17 octobre), la Ferme de Cabrières recevra le public samedi 15 octobre à 10h et à 14h autour d’une visite « pour voir comment le changement climatique impacte les cultures et les pratiques des paysans ». Réservation conseillée via https://www.fetedelascience.fr/visite-guidee-la-ferme-de-cabrieres