Les Courens… C’est à la fois le nom du plateau rocheux qui domine Beaumes-de-Venise, dans le Comtat Venaissin, et celui de l’association qui le fait revivre. Car depuis des siècles, les humains ont aménagé cette colline aujourd’hui hirsute. Grâce à un trésor : la pierre sèche.
Il faut tout d’abord se livrer à une bonne grimpette au-dessus de Notre Dame d’Aubune, chapelle classée du XIe siècle. Nous voilà à flanc de colline. On quitte le chemin, on redescend un peu en passant d’une terrasse à l’autre. Tout en bas, c’est la plaine. Beaumes-de-Venise s’étale, entourée de ses vignobles.
Ce n’est pas celle des Chevaliers à la Table Ronde, mais elle lui ressemble. En bien plus grand. Cette table-là, en bois -et pas en pierre- peut accueillir des dizaines de convives. Il est midi ce chaud jour de mars. Une quinzaine de lycéens du Campus Provence Ventoux, à Carpentras y ont pris place.
Quatre règles de base
Elles et ils sont dans une formation « Aménagement paysager ». Au programme cette semaine, un module sur la pierre sèche. Depuis six ans, les promotions de lycéens contribuent à gratter les murs jusqu’au fondement, puis à les remonter pierre à pierre depuis l’assise. L’assise, c’est la première des quatre règles de la pierre sèche. S’y ajoutent le blocage, le croisement et le pendage (le fait que la pierre de devant doit pencher vers l’intérieur du mur).
Si la plupart des jeunes accueillent cette formation comme un plus pour leur futur métier, rares sont ceux qui envisageraient d’en faire leur profession. Ils sont pourtant à bonne école. Louis Cagin leur formateur est tombé tout petit -et en famille- dans la pierre sèche.
Trouver son propre geste
Depuis vingt ans il la pratique et l’enseigne, à sa façon. « On ne peut pas enseigner un geste, précise-t-il. J’essaie d’amener chacun à sa propre intuition pour qu’il trouve son propre geste, et il n’y en a pas de faux ». Mais quand même, une obligation ? « Du moment que ça tient… » sourit le murailleur.
Et à part les quatre règles de base, quelle serait la définition d’une construction en pierre sèche ? « La pierre sèche c’est sans liant (et sans chaux, sauf exception). La pierre doit être « manu-transportable » et pas trop taillée, sinon on est tailleur de pierres ! »
« Chaque mur est un équilibre entre le sol et la pierre »
Aucun ouvrage de pierre sèche ne ressemble à un autre, poursuit Louis Cagin. Qualité des pierres, nature du sol, géographie, usage -qu’il s’agisse de pastoralisme, d’agriculture ou d’eau- autant d’éléments auxquels il faut s’adapter.
Et l’esthétique, dans tout ça ? « On la cherche, mais pas pour elle. Parce qu’elle est utile. Elle naît de l’équilibre des pierres posées l’une après l’autre », conclut le spécialiste un peu poète, auteur de plusieurs ouvrages sur la pierre sèche.
Dix hectares de pierre sèche
Pour les Courens -le site comme l’association-, l’histoire récente a commencé dans les années 90. La commune acquiert trois hectares autour de la chapelle. Mais comment les mettre en valeur ? L’affaire est lancée. Aujourd’hui les premières parcelles alignent fièrement leurs « baucau », leurs terrasses.
Il y a des siècles, en bas étaient les marécages. Alors les habitants ont patiemment remonté la terre et l’ont retenue par les pierres, qui drainent l’eau. Et sur ces banquettes, ils ont planté céréales, légumes, vignes et arbres fruitiers. Oliviers bien sûr mais aussi pistachiers, grenadiers, amandiers et capriers.
160 oliviers et 500 kg d’olives
Aujourd’hui, cet écosystème est en cours de restauration. La première récolte d’olives a eu lieu cette année, 500 kg. Mais l’objectif n’est pas encore atteint. Car aux Courens, on veut faire rimer agriculture avec culture. Alors outre les formations à la technique de la pierre sèche, c’est toute une vie qui se développe sur les flancs du plateau des Courens.
Tellement d’activités qu’il est difficile de toutes les présenter. Des sorties découvertes pour tous les publics y compris scolaires, aux repas de fête sur la conviviale table ronde, en passant par le festival annuel qui propose musique bien sûr mais aussi théâtre, chant et contes… Des scientifiques observent le verger conservatoire, les pompiers étudient les anciennes bassines en pierre et le système de drainage de l’eau de ruissèlement.
Pierre sèche et art de vivre
« Ce patrimoine tout le monde doit pouvoir le partager, c’est l’objectif de notre association, précise Bruno Jean-Noël, co-président des Courens. Tout ce travail de restauration, c’est pour la production agricole (ndlr : en bio), mais aussi pour le paysage, la lutte contre l’érosion et l’incendie, pour favoriser la biodiversité. Le site est réinvesti dans toutes ses dimensions ».
Pour le bénévole, intervenant en agronomie, il s’agit non seulement de renouer avec l’histoire mais aussi de partager des savoir-faire, des projets et des moments de convivialité.
Créer une coopérative
Victime de son succès, l’association croule sous les demandes de partenariats pour de multiples projets. La trentaine de bénévoles, même très investie, ne peut répondre à tous. Et quand la restauration des cinq à six hectares arrivera à son terme ? Bruno Jean-Noël lève les yeux vers le sommet du plateau. Celui-ci arbore encore un côté sauvage. Pourtant des pans de mur anciens sont visibles à travers la végétation conquérante. « Là-haut… Il y a encore une vingtaine d’hectares » murmure-t-il.
En attendant, les Courens veulent créer une coopérative, sous la forme d’une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif). Histoire d’ancrer un peu plus encore dans leurs pratiques cette volonté de faire, avec tout le monde. Élus, agriculteurs, associations, lycées, commerçants, artistes et citoyens… Tous seront invités à s’asseoir autour de la grande table ronde. Pour construire ensemble l’avenir de ce site qui n’existerait pas sans la pierre sèche.