« La pêche industrielle, c’est autant de CO2 que l’aviation civile »

Des chalutiers à quai à Getaria, au pays basque Espagnol

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Des chalutiers à quai à Getaria, au pays basque Espagnol

Face au réchauffement climatique, la pêche est-elle encore possible ? Pour tenter de répondre, le sommet Climate Chance a réuni le 1er avril à Marseille un atelier confrontant les points de vue de chercheurs, de pêcheurs et de militants, parmi lesquels Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Sheperd. Au fil des débats, un constat : la pêche industrielle n’est aujourd’hui plus soutenable. Tour d’horizon.

« Les milieux évoluent trop vite »

Ludivine MartinezLudivine Martinez, écologue marine, fondatrice de la cellule Cohabys à l’université de La Rochelle

« Je m’intéresse aux interactions entre les activités industrielles et la méga faune marine, c’est-à-dire les mammifères, poissons et oiseaux de grande taille vivant dans la mer et les océans. Ces animaux jouent un rôle de sentinelle de l’environnement. Les baleines et les dauphins par exemple ont mis des millions d’années à s’adapter de manière optimale à leurs milieux. Mais là, les milieux évoluent trop vite pour qu’ils puissent s’adapter. Dans certaines zones maritimes, le volume sonore sous-marin double tous les dix ans. Dans les trente dernières années, le trafic maritime a été multiplié par quatre ! Les collisions avec les navires deviennent une cause majeure de mort non naturelle pour les animaux marins. S’ajoute à tout cela évidemment le changement climatique, avec le réchauffement des eaux. L’action économique ne peut pas être soutenable si on ne cherche pas à préserver les espèces. La question est : est-ce qu’on peut arriver à travailler tous ensembles, entre chercheurs, associations, professionnels de la mer ? »

« Si le plancton meurt, nous allons mourir »

Paul Watson, fondateur de Sea Sheperd

Paul Watson« Les océans sont soumis à un stress intense. On constate des baisses de phytoplancton allant jusqu’à moins 50 %. Or le phytoplancton est à la base de toute la chaîne alimentaire de la mer. S’il meurt, nous allons mourir, cela ne fait aucun doute. Il faut arrêter toute la pêche industrielle, qui sert surtout à alimenter à bas prix des animaux d’élevage, comme des poulets ou des saumons. Il nous faut complètement changer notre point de vue, adopter un regard bio-centré. Nous les humains, sommes connectés à toutes les espèces. Elles peuvent vivre sans nous, l’inverse n’est pas vrai.

Quelle est alors la solution ? Celle qui semble impensable. Pendant des années, on a pensé que Nelson Mandela ne serait jamais libéré. Pourtant, c’est arrivé. Notre position est simple : il faut arrêter toute pêche industrielle. Si l’on continue comme cela, en 2050 il n’y aura de toute façon plus de poisson et donc plus de pêche industrielle.

Aujourd’hui, il y a deux types de pêcheurs : les petits bateaux artisanaux, et les bateaux géants industrialisés, qui tirent des filets larges comme des autobus et allant jusqu’à 100 km de long. Avec Sea Sheperd, nous avons documenté plusieurs situations de pêche illégale dans le monde, notamment en Atlantique et en France. Les autorités ont constaté, mais elles n’ont rien fait. Les pénalités sont seulement pour les petits pêcheurs. Les règles existent. Mais ce qui manque, c’est la volonté politique de les appliquer, et les financements pour des solutions alternatives. Le point faible des pêcheurs industriels, ce sont les subventions. Sans elles, ils ne peuvent pas survivre. Si on arrête de les subventionner, on récupère de l’argent qui pourrait aller aux pêcheurs artisanaux, c’est aussi simple que ça. »

« 80 % de la flotte de pêche est à la retraite »

Alain Davaux, pêcheur artisanal à Marseille

Alain Davaux « Je suis pêcheur depuis vingt-huit ans, je travaille exclusivement à l’hameçon. Aujourd’hui, j’en mets beaucoup plus qu’il y a vingt ans. A court terme, je n’ai pas le choix. La température de l’eau de mer est devenue beaucoup plus constante et beaucoup plus chaude. Pour des espèces comme le bar, ça l’amène à aller plutôt vers Sète où l’eau est plus fraîche. Sur des espèces comme le bar, on atteint le point où le poisson ne peut pas se renouveler.

J’ai participé à des actions de l’Ifremer pour étudier les déplacements de la daurade. On a découvert que 80 % des daurades de Méditerranée viennent frayer à Marseille. Donc fatalement ce qu’on prélève comme daurade à Marseille ça ne fait pas que du bien à l’espèce. Sur le thon rouge, les quotas de pêche ont permis de le préserver. Mais j’ai un bateau de 6 mètres, je n’ai pas le droit d’en pêcher, alors que les gros bateaux eux ont le droit.

Je vends mon poisson surtout dans le 8e arrondissement de Marseille. Même avec des circuits aussi courts, ça devient économiquement difficile. La majorité des consommateurs sont au courant de tout ça. Mais la question c’est le tarif : la pêche industrielle coûte beaucoup moins cher. Elle donne accès au poisson à beaucoup de gens. J’ai bientôt 50 ans, je fais partie des plus jeunes pêcheurs artisanaux sur Marseille. Plus de 80 % de la flotte est à la retraite, mais continue de travailler parce que les pensions ne sont pas suffisantes. L’an dernier, il n’y a que deux jeunes qui se sont installés en pêche artisanale. On est nous aussi une espèce en voie de disparition. »

« Nous, électeurs et consommateurs, nous avons les cartes en main »

Thomas CapitenThomas Capiten, réalisateur, ambassadeur pour le Pacte Climat européen, président d’Engaged for Ocean

« Grâce à l’outre-mer, la France représente le deuxième territoire maritime mondial. Aujourd’hui, 20 % de la pêche globale sert à alimenter l’élevage, notamment des poissons qui se vendent plus cher comme le saumon. Chaque année le chalutage émet 1 gigatonne de CO2, c’est l’équivalent de toute l’aviation civile ! La pêche industrielle n’existe que parce qu’elle est soutenue par des aides publiques. Donc nous, électeurs, consommateurs, on est aux manettes. C’est à nous de dire « Ça suffit ». Nous avons les cartes en main : si on n’achète plus de surimi, plus de poisson péché au chalut, on peut changer la donne. Le choix de la consommation artisanale, il est possible. Si l’on arrête la pêche industrielle, ça va libérer de l’espace pour toute une flotte de pêche artisanale, qui crée plus d’emplois que les bateaux usines.

Pour préserver la ressource, un des outils les plus efficaces est l’aire maritime protégée. Mais on peut encore y pêcher avec un chalut pélagique de la taille d’un terrain de foot ! Il y a donc un enjeu de responsabilité, on ne peut plus avoir de discours politiques creux. Quand elles sont vraiment respectées, les zones maritimes protégées ont de l’impact. On l’a vu pendant le Covid : la résilience de la nature quand on lui fout la paix, c’est incroyable !

Pour arriver à faire bouger les lignes, je crois beaucoup au soft power, à une communication non frontale au travers de films ou de documentaires. Et en allant vers les enfants, pour qu’ils éduquent leurs parents. L’avenir, ce sont les enfants ! »

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