Crise du lait, du porc, des fruits… Colère, désespoir, faillites, suicides… Un modèle agricole semble en bout de course. Au même moment, les mains dans une terre sevrée de chimie, de jeunes paysans vivent de leur travail sur quelques arpents et ils sont heureux.
Ils sont jeunes et ont encore beaucoup en commun : l’amour de la nature, la conscience des dérives de l’agriculture industrielle, l’envie de faire autrement, leur petite ferme dans le Vaucluse, à quelques km de distance l’une de l’autre (ils ont choisi l’agroforesterie), et leur prénom : Nicolas.
Au Thor, Nicolas Verzotti, installé depuis 2012 sur 1.5 ha, musicien, enseignant, et depuis toujours concerné par l’équation : agriculture-alimentation-environnement. « J’ai décidé de mettre les mains dans la terre, plutôt que critiquer les autres, je veux faire ma part » raconte tranquillement Nicolas. Alors il a crée la Ferme du Colibri, où nous l’avons rencontré.
Son modèle : la complémentarité vergers/maraîchages. « J’ai fait sortir le tracteur pour faire revenir l’arbre » explique-t-il, heureux que sa terre soit aujourd’hui en résilience.
« L’arbre nous réhumanise »
A Pernes-les-Fontaines, Nicolas Borde a repris en 2011 les terres familiales, après un parcours professionnel dans l’industrie, l’enseignement et une société de conseil en développement durable. Sur 2 ha il a planté 750 arbres, « pour se protéger du vent, du soleil et parce qu’ils sont beaux » dit-il.
Après 40 ans d’intrants chimiques, la vie est revenue, les vers sont à l’œuvre et Nicolas « travaille de concert avec tout ça », dans sa Ferme des Possibles.
La complémentarité ramène la biodiversité
Le principe de l’agroforesterie : planter des arbres et des arbustes en haies, et des plantes dans les intervalles. Résultat, les uns apportent aux autres ce qui leur manque, protection du soleil contre humus, azote contre humidité…
Entre les pommiers, poiriers, noisetiers, sureaux noirs oliviers ou romarins, poussent au gré des saisons ail, oignon, fèves, carottes, salades, choux, courges, fraises… Chez l’un comme chez l’autre Nicolas, une cinquantaine de variétés. Tous deux pratiquent la rotation des parcelles, le paillage, les engrais verts qui apportent l’azote et protègent la terre. Nicolas Verzotti vise un couvert permanent, Nicolas Borde travaille avec des décoctions végétales, tous deux sont certifiés Bio.
Produire et vendre local
Les deux Nicolas vendent à la ferme, sur leur marché local (Velleron et Pernes), dans une AMAP* pour l’un, auprès des restaurateurs locaux pour l’autre. Tous deux participent à l’opération De Ferme en Ferme, organisée par le CIVAM*. Adeptes des réseaux, avec les collègues, les écoles, les consommateurs, ils jouent la transparence et la transmission de leurs savoirs et expériences. Et puis ils s’appuient sur l’antenne écodéveloppement de l’INRA* et le GRAB*, ou la coopérative spécialisée AGROOF*.
Tous deux ont dégagé un chiffre d’affaire de 35 000€ l’an dernier et si aucun ne veut s’agrandir, ils savent pouvoir augmenter leur productivité quand les fruitiers donneront, et grâce à la rotation des bandes enherbées ou à la stratégie de fertilisation.
L’un espère engager des saisonniers, l’autre va être rejoint par sa femme sur l’exploitation. Le modèle économique est performant.
Des projets à la pelle
Nicolas Verzotti veut travailler sur ses propres semences. Les semences bio sont assez chères. Et il souhaite aussi trouver les mieux adaptées à son terroir, et diversifier ses haies en introduisant des condiments. Il participe enfin à la création d’un site de producteurs. Maître mot : la diversification.
Nicolas Borde lui veut créer un laboratoire pour fabriquer jus de fruits, conserves et sirops. Et il milite dans une association « A portée demain » qui s’adresse aux élus, aux agriculteurs et aux consommateurs….
La noblesse du métier
Les deux Nicolas sont de jeunes papas « heureux et fiers de nourrir nos enfants et de savoir ce qu’on leur donne, et d’en vivre, alors que tant d’autres n’ont pas la maîtrise de leur production. »
En conclusion, tous deux se revendiquent « paysan », un métier difficile et fatigant, ils l’admettent et l’acceptent. Car dit Nicolas Borde : « Nourrir les hommes localement et sainement, c’est la noblesse de notre métier. »
*AMAP : Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne
*CIVAM : Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural
*INRA : Institut National de la Recherche Agronomique
*GRAB : Groupe de Recherche en Agriculture Biologique
*AGROOF : bureau d’études spécialisé en Agroforesterie