Au sud-ouest de Madagascar, cet hébergement aide socialement des villages de pêcheurs isolés. En nouant le contact avec des Mikea, une des dernières communautés de chasseurs-cueilleurs de l’île, il offre aux visiteurs deux formes encourageantes de tourisme respectueux.
Le lieu se mérite. Depuis Tulear, compter 5h de minibus dont 3h30 de piste effroyable pour rejoindre le Mikea Lodge, planté au bord d’une plage de sable poussiéreux sur le canal du Mozambique. Le bout du monde. A la saison des pluies, le bus déglingué qui transporte passagers et marchandises depuis Tulear ne circule plus, vaincu par une piste impraticable.
Pirogues à balancier
Ce sud-ouest est cependant le plus aride de Madagascar. L’arrière-côte est bordée d’une redoutable forêt sèche d’épineux ponctuée de baobabs. Le vent souffle constamment dans ces parages, gonflant les voiles carrées des pirogues à balancier qui remontent l’océan vers le nord. Ici vivent des Vézo, un peuple de pêcheurs et de cueilleurs d’algues qui habite au bord du lagon dans des huttes de bois et de tôle. Au loin, la barrière de corail et sa ligne écumeuse les protège des fureurs de l’océan Indien. C’est aussi là que sont installés les Mikea, une communauté de chasseurs-cueilleurs réfugiée dans la forêt. L’un des rares peuples premiers d’Afrique survit tant bien que mal dans ce décor sauvage étourdissant.
Famille en vue de Madagascar
Mais pourquoi un hôtel a-t-il élu domicile dans ces parages désolés ? Bien qu’il ne soit pas seul – quelques lodges ponctuent cette côte prisée des routards et des solitaires -, son histoire mérite d’être contée. L’une des familles en vue de Madagascar s’appelle Ramanandraibe. Elle est à la tête d’activités qui vont de l’exportation de produits alimentaires au tourisme, en passant par la chocolaterie Robert, fabrique rescapée de la décolonisation, très connue dans l’île. La famille a ses habitudes à Salary, un village côtier situé à une dizaine de kilomètres du Mikea Lodge. C’est comme ça que l’un des petits-fils de cette dynastie est tombé sous le charme du secteur, au point de vouloir y construire cet hôtel.
Fournisseurs mieux payés
Ouvert depuis 2015, le Mikea Lodge et ses 10 bungalows de toiles tournés vers l’océan a parié sur des prix haut de gamme (pour le pays) afin qu’une partie des recettes soit redistribuée aux villageois. « 80% des employés de l’hôtel viennent des deux villages voisins d’Ambatomilo et d’Andravona. Les pêcheurs Vezo nous fournissent les poissons et les fruits de mer que nous payons plus cher que le prix du marché », précise Karl David Ramboatina, le manager. Un des employés, jardinier, est par ailleurs Mikea. Il lui arrive de passer la nuit en forêt, comme d’autres membres de sa communauté.
Dispensaire et initiation au rugby
Le propriétaire de l’hôtel est aussi à l’origine du financement du dispensaire d’Ambatomilo, alimenté en médicaments et matériel médical de première nécessité. Ultra isolé, ce littoral ne bénéficie pas d’équipements de santé dignes de ce nom, dans un pays globalement très déficient en matière de soins. Surtout, le Mikea Lodge a lancé une initiative sociale originale en direction des jeunes filles. Pour éviter la fatalité de grossesses trop précoces, fréquentes dans ces villages pauvres, on leur apprend à jouer… au rugby. Un sport collectif qui façonne le corps et l’esprit autant qu’il apprend l’autonomie d’action et de décision. En lien avec l’association malgache Terres en Mêlées et des partenaires (Fondation Société Générale, Fédération Française de Rugby…), un joueur professionnel du Stade Français est venu délivrer son enseignement à Ambatomilo, tandis que quelques jeunes du village ont eu la chance de s’envoler l’an dernier au Japon pour la Coupe du monde de rugby.
Rencontre entre touristes et Mikea
La présence des Mikea à proximité a également été mise à profit. Par l’intermédiaire d’un universitaire malgache ayant partagé leur vie pour les étudier, un lien a été établi. Une poignée de familles Mikea accepte de rencontrer les clients du lodge, en échange d’un peu de tabac délivré par le guide. « Respectez leur culture et leur façon de vivre, ne leur donnez absolument rien », avertit Willycia Rakotomalala, autre responsable de l’hôtel. Nomades, leur rencontre n’est jamais garantie. Mais lorsqu’après quelques minutes de marche on découvre une famille avec enfants assise à même le sol, devant quelques buches fumantes et dans un dénuement total, mille questions émergent. C’est l’une des conséquences de ce projet d’écolodge : faire rencontrer des populations autochtones isolées à des touristes dont la contribution servira la cause, en ouvrant l’esprit sur les paradoxes d’un monde partagé entre ceux qui ont tout et d’autres qui n’ont rien.