De passage en Bretagne, s’est trouvé sur notre chemin un écohameau, Kervillé, dans le Finistère. Oasis, écolieu, habitat partagé… les termes foisonnent pour le qualifier. Mais que veulent-ils dire pour celles et ceux qui y habitent ?
Au cap Sizun, tout près de la Pointe du Raz, Kervillé compte 3 hectares partagés entre 9 habitants, groupés en SCI. Plus qu’un espace partagé ou une co-propriété, ses membres ont construit ce lieu autour de la notion d’oasis. Ils font ici référence au Projet Oasis du mouvement Colibris. L’objectif : créer un réseau de lieux de vie collectifs, proches de la nature et résilients. Près de 800 oasis sont déjà répertoriées en France. Chacune écrit ses propres règles mais respecte 5 principes du mouvement : l’autonomie alimentaire, l’autonomie énergétique, la gouvernance respectueuse de chacun, l’intégration et la mutualisation.
Kervillé, quelques années plus tôt
« Le projet est né en 2017 avec un groupe d’amis. Ça n’a pas marché pour eux, alors ils ont revendu. Aujourd’hui nous sommes 9 adultes et 4 enfants, donc 5 foyers », témoigne Cloe, co-habitante de Kervillé. Professeur de yoga, elle est arrivée il y a deux ans avec Gérald, informaticien en reconversion. Ils sont désormais les plus anciens, excepté Cédric, seul survivant de la première équipe. Le doyen, comme ils le nomment parfois. Les 6 autres sont arrivés au compte goûte. Ils viennent de Lille, Chambéry, Bordeaux, Albertville, de la Région parisienne. Ils sont artisan, professeur, informaticien, vétérinaire, brasseur, maraicher. Ils ne se connaissaient pas. « C’est peut-être cela qui n’a pas fonctionné dans le premier groupe, ils se côtoyaient déjà, ils ont gardé leurs amis, leur travail, leur ancienne vie. Ils se sont investis dans le lieu inégalement. Pour nous, c’est différent, nous avons tous changé de vie pour ce projet. Nous avons la même motivation, les mêmes valeurs, donc notre engagement pour le lieu est fort », dit Cloe. Deux autres foyers devraient bientôt rejoindre le groupe, qui sera alors complet.
Un petit paradis vert
« Lorsque les gens arrivent, ils ne pensent pas que nous sommes proches de la mer, pourtant elle est à moins de 3 km », ajoute Cloe. Au cœur du cap Sizun, l’écohameau se divise en trois parties. Le premier, le centre de vie, qui est l’espace construit, ressemble à un petit village. Appartenant à deux anciens corps de ferme, cinq bâtisses se dressent encore autour de « la Cour ». Un peu plus loin, une immense grange accueille matériel, outils et ateliers. Au-dessus, une salle de réunion à louer et un futur gîte.
La deuxième partie, sur le même terrain est réservée à la culture et aux espaces naturels. Enfin, en face, de l’autre côté de la route, se trouve un champ encore utilisé par un agriculteur extérieur.
L’objectif délicat de l’autonomie alimentaire
L’autonomie alimentaire est l’objectif principal et final. Toutefois, le collectif a décidé de prioriser les chantiers pour les habitations. « Beaucoup commencent par développer leur agriculture. Ils y mettent une énergie folle, alors qu’ils n’ont pas encore leurs chez eux. Nous préférons d’abord assurer un logement décent pour chacun et ensuite travailler l’autonomie alimentaire, qui prendra de tout façon du temps » nous confie Gérald. Ce qui ne les empêchent pas de commencer une production.
850 m² sont déjà cultivés par les habitants. Un grand potager en permaculture présente des planches rotatives séparées par des arbres et des arbustes pour « plus de biodiversité, d’ombre, moins de vent et un apport en matières organiques », dit Gérald. En face, le potager de la première génération fournit encore des herbes aromatiques et médicinales que pourra utiliser Cindy, en formation d’herboristerie. Cloe en fait déjà des tisanes. Une serre sera bientôt construite, et le champ, aujourd’hui cultivé par un agriculteur bio, deviendra une forêt nourricière.
Autonomie énergétique et éco-construction
Chacun aujourd’hui s’emploie à son toit. Arrivés dans la cour, un bruit attire l’attention. Là-haut, sur sa cheminée, se trouve Steven, qui nous salue en riant « Je passe autant de temps dans ma cheminée que dans ma maison ». Seules trois maisons étaient déjà habitables, bien que nécessitant des rénovations. Les trois autres n’étaient que des murs. Les habitants ont décidé de n’utiliser que des matériaux naturels : pierre, bois, chaux, chanvre. Eco-construction voire auto-construction, le temps est long mais la gratification est là.
Cloe et Gérald ont fini leur maison il y a peu. Ils en sont fiers, surtout qu’ils seront bientôt autonomes. « Le but est d’avoir un écohameau autonome en énergie. Nous avons donc décidé de penser l’énergie lors de la construction de la maison » nous raconte Gérald autour d’un café. Aujourd’hui, ils ont déjà une petite éolienne et ils vont installer panneaux solaires et chauffe-eau solaire. Ils ont deux bassins de récupération des eaux de pluie et installent un système de filtration de l’eau pour la rendre potable. Ils pourront ensuite se désaccorder du réseau général. « C’est déjà un gain d’argent par mois, mais le but ce n’est pas l’argent. Ce type de maison n’est pas forcément moins chère. Le but, c’est d’avoir un habitat qui corresponde à nos valeurs et un système qui fait sens pour nous ». Les autres maisons sont en cours de réhabilitation et suivront le même objectif, mais pas forcément par les mêmes moyens.
« Le principal dans un écolieu, c’est le fonctionnement du groupe »
En groupe, tout prend du temps, nous disent Cloe et Gerald. Les prises de décision, les travaux, la gestion. « Nous nous réunissons tous les mardis pour une réunion et des travaux participatifs puis nous donnons tous une demi-journée pour le lieu par semaine. Nous ne nous surveillons pas, c’est une question de confiance. Chacun est référent d’une mission, potager, forêt comestible, comptabilité… Le référent garde un œil sur son secteur et avertit les autres de l’aide dont il a besoin ».
Pour le reste, chaque famille gère son espace et son temps. Ce fonctionnement convient bien à Cloe et Gerald. Il leur permet de participer activement au groupe tout en gardant leur espace privé (maison et jardin) et du temps pour leurs activités professionnelles ou personnelles. La proximité du groupe permet toujours de se donner des coups de mains et de profiter d’un partage de connaissances. « Pour la maison, nous avons payé Steven, qui est maçon, pour nous aider. Nous n’y connaissions rien ! Aujourd’hui, nous avons beaucoup appris sur le bâtiment ».
Intégration et partage
Venu d’ailleurs, le groupe ne souhaite pas s’isoler. Il accueille déjà du public. Initiation à la permaculture, cours de yoga et de sophrologie, présentation de leur installation en oasis… Ils offrent à la location une salle de réunion et ont pour projet de réhabiliter un bâtiment en gîte. Bref, autonomie ne veut pas dire solitude, mais bien partage et ouverture à Kervillé.
Crédits des photos : Boris Le Dréau