Comment la plus grande cave viticole de Provence prend-t-elle le virage d’une viticulture plus durable ? Entre initiatives des coopérateurs et exigences du marché, les vignerons de Lambesc (13) modifient leurs pratiques, navigant entre conscience environnementale et adaptation à la demande.
100 ans. C’est l’âge respectable que fêtent cette année « Les Vignerons du Roy René », plus grande cave coopérative de Provence avec 60 000 hl produits chaque année. 100 ans et 100 coopérateurs, le compte est bon pour ce caveau des Bouches-du-Rhône installé à Lambesc, au nord d’Aix-en-Provence, et qui poursuit vaillamment l’œuvre des anciens en s’adaptant à un marché du vin et à une société en permanente mutation.
Quelle transition ?
Et justement, alors que l’urgence climatique est là, que les intrants chimiques sont montrés du doigt, que les consommateurs plébiscitent les produits de terroir et la traçabilité, comment une cave opère-t-elle sa nécessaire transition ? Car face à ces changements, il n’est pas permis de croire que les viticulteurs, ici comme ailleurs, restent les bras croisés…
20% de production bio
« Notre premier coopérateur bio a été certifié en 1989. C’était une démarche personnelle, on ne parlait même pas alors de valorisation financière », resitue Marion Repos, technicienne vignoble et responsable qualité de la cave. Anecdotique, cette conversion en appellera d’autres. En 2018, 6% de la production de la cave était en bio. En 2019, c’était 16%, et 20% en 2020. « En 2024, 70 ha supplémentaires seront certifiés. La production bio représentera alors 20% des surfaces ». Cette année, une quinzaine de coopérateurs sont engagés en bio.
Conviction environnementale et logique commerciale
« En quatre ans, l’évolution a été énorme. Elle a été impulsée par la cave pour s’adapter à la demande du marché et par des coopérateurs confrontés à des règles d’utilisation de produits phytosanitaires de plus en plus contraignantes », éclaire la technicienne. Pour elle, la moitié l’ont fait par conviction environnementale, l’autre par logique commerciale et technique.
Contraintes en matière d’intrants
Mais si le bio ne pèse que « 20% », cela ne veut pas dire que les 80% restant sont en pur conventionnel. En 2000, Les Vignerons du Roy René ont été l’une des premières caves à établir un cahier des charges pour être certifiés « Nutrition Méditerranéenne en Provence ». Un label déposé par la Chambre d’Agriculture des Bouches-du-Rhône en 1998 imposant des contraintes en matière d’intrants et interdisant notamment « les produits toxiques, mutagènes et cancérigènes », dit Marion Repos.
Marque Viticulture Qualité Confiance
Renommé Viticulture Qualité Confiance en 2019, cette marque n’est pas valorisée auprès des consommateurs – face à l’afflux de labels « verts », peut-être vaut-il mieux ainsi ! – mais impose à tous les coopérateurs une limite et une traçabilité dans l’usage de leurs intrants. Dans les Bouches-du-Rhône, seule la cave coopérative de Trets a également adopté cette démarche. Pour Les Vignerons du Roy René, elle a été complétée à partir de 2017 par la création d’un GIEE (Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental). « Pendant quatre ans, un groupe de vignerons a travaillé à adapter les doses d’intrants à la situation sanitaire réelle de la vigne. Cela a conduit à adopter la méthode Optidose, utilisée aujourd’hui par tous ».
Label HVE décrié
Reste le fameux label HVE (Haute Valeur Environnementale)… Décrié pour être une sorte de cache-sexe de produits en réalité plus conventionnels qu’il n’y parait, « il nous est imposé par la grande et moyenne distribution qui sans cela, nous dit qu’elle ne peut plus acheter nos vins », éclaire la responsable qualité. Si la HVE impose par exemple aux vignerons d’avoir un pourcentage de biodiversité autour de leurs parcelles, « au niveau des intrants, c’est beaucoup moins restrictif que la marque Viticulture Qualité Confiance », constate Marion Repos. Cette année, 90% des coopérateurs de la cave ont obtenu le label, « contraints » par l’exigence de la GMS.
Baisse de la demande en vins bios
La combinaison de toutes ces démarches et des conversions bio, c’est qu’« en 2021, deux tiers des vignerons de la cave n’utilisent plus aucun herbicide ». Dans le secteur, une certaine inquiétude plane en revanche sur le marché. « Depuis deux ans, nous remarquons une diminution de la demande en vins bios. A priori, il s’agirait d’une saturation du marché franco-français », indique la responsable. Pas de nature à accélérer, pour l’heure, de nouvelles conversions bio…
L’enherbement de parcelles
Il n’en reste pas moins que la dynamique en faveur de pratiques plus durables, même imparfaite, se poursuit. Prochain challenge : le travail du sol. « Tous les coopérateurs ont investi dans du matériel mécanique. De nouvelles techniques sont aussi en test. Avec la Chambre d’Agriculture, nous travaillons l’enherbement de parcelles de manière à favoriser un apport de matières organiques et une meilleure pénétration de l’eau. Cela favorise notamment la biodiversité pour les insectes ». En 100 ans, les Vignerons du Roy René ont innové… et peut-être retrouvé, aussi, des gestes oubliés.
Les Vignerons du Roy René en bref
-100 coopérateurs (à Lambesc, Saint-Cannat, Rognes, Le-Puy-Sainte-Réparade et Vernègues).
-900 ha (environ 20 ha sup. chaque année).
-Taille moyenne des exploitations : 12 ha.
-60 000 hl de vin/an, dont 87% de rosé, 7% de blanc, 6% de rouge.
-20% de la production en bio.
-Zéro coopérateur en biodynamie.
Grand évènement en octobre à la cave pour ses 100 ans.
Circuit pédestre « Découverte dans les vignes » réhabilité en 2022 : 5 km, à Lambesc, avec panneaux explicatifs (flyer à récupérer à la cave).
Les Vignerons du Roi René seront présents au prochain Salon des Agricultures de Provence, les 3, 4 et 5 juin à Salon de Provence.