Denis Lairon directeur de recherche émérite INSERM, nutritionniste

Denis Lairon est  directeur de recherche émérite à l’INSERM, nutritionniste et spécialiste des relations alimentation-santé et alimentations durables. Il apporte ici son analyse sur la crise actuelle et dessine les solutions pour un autre avenir.

Bleu Tomate : la crise qui secoue la planète était-elle prévisible ?

Oui, depuis une décennie, nous avons eu une succession d’épidémies de virus d’origine tropicale, commencée avec le HIV-Sida, le SRAS, le H5N1, le H1N1, Ebola, Zika, plus ou moins locales ou mondiales. Il n’est donc pas surprenant qu’un nouveau virus  apparaisse… en attendant le prochain.

-Que dit-elle de l’organisation de nos sociétés ? (sanitaire, économique, logistique…) et quelles sont ses principales faiblesses ?

Les experts du domaine identifient le développement économique et de la population comme facteur majeur, avec les atteintes très fortes sur la biodiversité et donc les équilibres entre espèces, très renforcées par la destruction des forêts. Ce phénomène  met en contact les humains avec des espèces nouvelles et la dispersion est aggravée par les déplacements humains et les échanges internationaux, autrement dit la mondialisation.

Denis Lairon, chercheur à l'INSERM, spécialiste de l'alimentation méditerranéenne

Denis Lairon Directeur de Recherche émérite INSERM – ©JB

Comme c’est très souvent le cas, nos systèmes économiques et sanitaires sont trop fragiles et trop dominés par le profit. Ils ne sont pas en capacité de faire face à une épidémie importante, ou une catastrophe naturelle (sécheresse, inondation, tempête, etc…) ou industrielle (ex Tchernobyl, Fukushima).

La financiarisation de l’économie et sa mondialisation sont des faiblesses majeures bien mises en évidence une fois de plus avec l’épidémie actuelle. Les pays les plus riches du monde ne sont même pas capables de produire et de disposer de masques de protections pour leurs soignants et leur population.

-Quels leviers actionner pour éviter que tout ne recommence comme avant ?  

L’idée est de replacer les humains et la nature au centre  des préoccupations et des politiques publiques !

A titre personnel ou familial, chacun devrait s’investir de plus en plus dans le mouvement du changement et ses aspects pratiques : alimentation, agriculture, énergie, logement, transport, déchets, respect de la nature et biodiversité, tourisme, social…. Il faut s’engager avec les associations. L’objectif, c’est de promouvoir, au sein de  la population, ce changement qui est déjà possible, en cours et même une nécessité.

les légumineuses au hit parade d'une bonne alimentation

Les légumineuses, élément important d’un bon régime alimentaire -©JB


Mais cette échelle ne suffira pas : les citoyen.e.s doivent, en se regroupant, influencer leurs élus locaux ou devenir  candidat.e.s aux élections (municipales, départementales, régionales). Et également influer sur les élus nationaux et européens, en toutes occasions, pour peser sur les choix globaux et cruciaux qui conditionnent l’avenir de tous. Les citoyen.e.s sont souvent en avance  pour la transition écologique et sociale, et peu sous la pression des lobbies. Aussi ils doivent se convaincre qu’ils seront les premiers moteurs du changement.

-Voyez-vous aujourd’hui des motifs d’espoir ?

La sortie de crise nous le dira vite mais on a déjà vu des signes que les tenants du système économique obsolète aujourd’hui ne proposent rien d’autre que de continuer comme avant et même aggraver encore la situation (travailler plus, emploi des pesticides, qualités du label rouge en forte baisse …).

Les responsables politiques, englués dans la crise, ne semblent pas vraiment en capacité de relever le défi du changement de société par la transition écologique et sociale alors que tous les voyants sont au rouge.

D’un autre côté, beaucoup de citoyens et d’associations ont bien compris que continuer comme avant n’est pas la solution mais le problème, et appellent à un changement marqué.

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D. Lairon plaide pour un changement radical de modèle agricole et alimentairePour aller plus loin

Denis Lairon, directeur de recherche émérite à l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) est nutritionniste et membre de l’ Equipe nutrition humaine du centre  de recherche cardio-vasculaire et nutrition à la faculté de médecine à Marseille (C2VN).
Spécialiste des relations alimentation-santé et alimentations durables, il vient de publier un ouvrage aux Editions QUAE (Inra, Cirad, Ifremer). On peut dire que « Manger sain et durable, de notre assiette à la planète » est tombé à pic ! La crise du COVID 19 a révélé à tous l’importance des systèmes de production et de consommation alimentaire dans le monde, leurs liens, leurs faiblesses, tant sur le plan de la simple logistique que de la santé et de l’impact sur l’environnement. « Comment bien se nourrir ? Comment produire durablement des aliments sains ? »  Denis Lairon n’a pas attendu la crise actuelle pour tenter de répondre à ces questions.

Ce livre écrit par un scientifique s’adresse à un large public. Il met en partage les connaissances scientifiques actuelles et les rapports d’experts internationaux. Ces travaux mettent en lumière l’insécurité alimentaire, les impacts négatifs des modes de production et de consommation actuels (ex : santé, pesticides, environnement). Mais aussi ceux qui s’avèrent protecteurs de la santé (plus végétal, méditerranéen, bio), comme les systèmes alimentaires durables et agro-écologiques.

L’auteur souligne également le consensus international actuel sur les solutions : autrement dit, l’urgence d’évoluer au plus vite vers la transition, indispensable pour les générations actuelles et futures.