La Provence est une région sèche. Sans le travail et l’expérience des habitants qui ont construit au fil des siècles les outils pour l’irriguer, elle aurait un tout autre aspect. Mais le changement climatique est un nouveau défi pour les hommes d’aujourd’hui.
L’eau est si essentielle à l’agriculture que les acteurs de ce domaine parlent de « sécurisation » pour parler d’irrigation. Désormais, il y a les terres sécurisées et les autres. Par exemple celles du plateau de Valensole, qui voient pousser blé ou lavande et qui jusqu’ici ne se souciaient pas d’arroser. Mais c’était avant. Désormais, ces producteurs réclament « la sécurisation de leur territoire en eau »… Question de vie ou de mort de leurs exploitations. C’est en tout cas ce qui est ressorti de la conférence tenue sur ce thème au Salon des agricultures méditerranéennes en octobre à Avignon.
Un peu d’histoire
On peut remonter aux Romains, et s’émerveiller encore devant le Pont du Gard. Un peu plus tard, en 1171, le premier canal creusé est le canal St Julien. En prise sur la Durance, il dessert la plaine cavaillonnaise sur 22 km. Puis à partir de 1554, le canal de Craponne est construit. Il détourne les eaux de la Durance et ira jusqu’à Salon et plus tard jusqu’à Arles, pour alimenter usines, champs et habitants.
Au 19e, les canaux de Marseille, du Verdon et d’Aix-en-Provence, et au 20e siècle, le Canal de Provence sont réalisés. En 1960, c’est la mise en eau du barrage de Serre-Ponçon. L’ouvrage retient 1.2 milliards de m3 d’eau, dont 200 millions pour l’agriculture. Puis on construit une seconde retenue, Sainte Croix et ses 300 millions de m3. Des réserves utilisées l’été, quand le débit des rivières est au plus bas. Aujourd’hui environ 150 000 ha sont irrigués.
Les années de sécheresse
Si la Provence fait bien des envieux, grâce à son système d’irrigation, elle ne saurait se reposer sur les efforts du passé. Et même si ce système présente des marges de sécurité, des pénuries d’eau à venir sont fort probables. 2003, 2007, 2016, 2017… Il a fallu déstocker de l’eau, certes 1/3 seulement du total. Mais les besoins nouveaux d’irrigation pour la vigne dans le Var ou le lavandin apparaissent… Ils sont estimés entre 10 et 20 millions de m3…
Acteur central, la Région
La loi de décentralisation de 2004 a donné de larges compétences aux régions en matière d’eau. En cours d’élaboration, le PPI (Programme Prévisionnel d’Investissements) prévoit 580 M € dont 70% iront à l’irrigation pour l’agriculture. Une rupture dans les choix, car ces dix dernières années, les investissements ont été consacrés à la sécurisation urbaine.
Etendre le système d’irrigation
« D’un objectif de 500 ha/an, nous allons passer à 1500 ha/an d’aménagement hydroagricole » explique Bruno Vergobbi, le directeur de la Société Canal de Provence. Mais le maître mot reste l’économie d’eau. « Si on travaille sur l’optimisation du transport, et sur l’usage de l’eau, par exemple avec le pilotage intelligent de l’irrigation, on peut répondre à la demande et concilier ce qui parait inconciliable ».
Economiser l’eau
Autre méthode, l’autorégulation, autrement dit la complémentarité entre canaux, dans une idée de solidarité. Jérôme Grangier est le président de la CED, (Commission Exécutive Durance). Cette structure gère 100 000 ha irrigués, sur une centaine de communes et les canaux de la basse Durance. « A un instant donné, des besoins existent d’un côté et pas de l’autre », explique-t-il. « Cette année, les zones non sécurisées ont beaucoup souffert, et dans le même temps, certaines zones sécurisées n’ont pas eu besoin de déstocker l’eau à laquelle elles avaient droit ».
Et les milieux naturels ?
Les zones agricoles sécurisées ne sauraient rester indifférentes quand les milieux naturels souffrent ! C’est la voix de l’Etat, par l’intermédiaire de la responsable de l’Agence Régionale de l’Eau Rhône Méditerranée Corse qui a plaidé au cours de la table ronde, pour que la nature ne soit pas l’oubliée des acteurs de l’eau. Selon l’Agence, les prélèvements sont parfois supérieurs au volume nécessaire pour préserver la vie aquatique. Gaëlle Berthaud a souligné que « On partage le constat de la fragilité de la ressource et la nécessité de s’adapter au changement climatique. On souhaite aider le monde agricole à se libérer de cette dépendance à l’eau ». L’Agence de l’Eau a aidé à économiser 90 millions de m3 d’eau a rappelé sa directrice.
Sécheresse financière
Tout le monde est d’accord, les besoins en eau augmentent, quand la ressource risque d’être réduite. Mais une autre ressource manque aussi, la ressource financière.
Selon le Directeur de la Société du Canal de Provence, aujourd’hui le prix de l’eau ne paie que le fonctionnement des ouvrages, pas leur amortissement. Et l’argent public se fait de plus en plus rare. Il faut donc inventer de nouveaux modes de financement. Exemple dans le Var où les producteurs de vin ont financé pour un tiers l’irrigation du rosé. Les collectivités ont contribué pour un autre tiers et la SCP le reste.
Mais cette expérience n’est pas renouvelable partout, les producteurs n’ont pas tous les mêmes capacités financières. « Il va falloir inventer une nouvelle forme de solidarité, non pas entre usagers mais aussi au sein du monde agricole entre ceux qui ont des besoins et ceux qui ont des moyens », souligne Bruno Vergobbi.
Qui doit payer ?
Rechercher de nouveaux financements, d’accord répondent les responsables agricoles, mais pas uniquement dans leurs poches. Pour André Bernard, président de la Chambre d’Agriculture du Vaucluse, si le changement climatique est une priorité, les aménagements hydrauliques sont utiles à toute la société !
Le feu dans les campagnes
C’est l’expression utilisée par André Bernard. Il rapporte le découragement d’agriculteurs non irrigués, qui ne voient pas d’avenir sans eau. Pour lui deux priorités, économiser l’eau, en changeant les pratiques culturales et irriguer ceux qui ne le sont pas. En particulier « en allant prendre dans le Rhône quelques m3/seconde, pour le Nord Vaucluse, afin qu’il continue à produire demain ».
Se retrousser les manches
Les Romains, la Renaissance, les 19e et 20e siècle ont construit un système d’irrigation qui a fait de nous des nantis, conclut André Bernard. « Mais nous allons laisser un désert à nos enfants si nous n’avançons pas tous ensemble en nous retroussant les manches ».
Polémique ?
Le débat fait rage autour de certaines propositions. Exemple le goutte-à-goutte, sensé économiser l’eau mais qui aboutirait parfois à augmenter la consommation, en l’absence de quotas. Et qui de plus ne permet pas de recharger les nappes de surface ! Ou l’utilisation des eaux usées, la panacée pour certains, mais interdite par les textes européens pour les autres, et de toute façon très chère. Plusieurs acteurs de terrain enfin dénoncent la complexité administrative ou le désengagement financier de l’Etat ou encore les retards de paiement de l’Europe. Conséquences : des travaux reportés sur des opérations pourtant nécessaires.
Pour aller plus loin
–L’eau, bien commun
Amener l’eau de là où elle est à l’endroit où les hommes –et leurs cultures- en ont besoin : autour de la Méditerranée, la question s’est posée de tout temps à jamais. Et seconde question tout aussi cruciale : qui gère son usage, et comment ? En Provence, (mais ailleurs en France aussi), un système de gestion en commun s’est installé depuis 150 ans. Ce sont les ASA (Associations Syndicales Autorisées) qui en sont chargées. On en compte 600 en PACA. Elles travaillent en partenariat avec les sociétés exploitantes Canal de Provence et Bas Rhône Languedoc. Les collectivités territoriales régionales y sont majoritaires. Aujourd’hui, ces deux sociétés exploitent et construisent les ouvrages nécessaires à l’alimentation des usagers. Elles sont aussi compétentes pour constituer des réserves.
L’ouvrage porte le nom de l’ingénieur qui, au milieu du 16e siècle, assura la construction –et même le financement- de ce canal qui dérive les eaux de la Durance vers Salon puis vers Arles, (ce qui fut fait seulement au 18e siècle). Le système d’irrigation des canaux est géré de façon collective. Pendant de siècles, les agriculteurs et des techniciens veilleront à son entretien et à son bon fonctionnement.
–Le Plan de Gestion de la Ressource en Eau (PGRE)
Dans les bassins versants définis comme déficitaires, il s’agit de mettre tous les acteurs autour de la table pour prévoir -dans un document- un meilleur partage de l’eau entre les usages humains et le milieu naturel et d’organiser l’économie de la ressource. Par exemple, sur le réseau aujourd’hui, un litre sur quatre est perdu à cause de fuites. Dans l’industrie, il est possible de réutiliser l’eau et dans l’agriculture, passer du gravitaire à l’aspersion ou au goutte-à-goutte permet de diviser la consommation par 4 ! 78 PGRE existent sur le Bassin Rhône-Méditerranée, plus de la moitié adoptés ou approuvés.
Économiser l’eau. L’étang de Berre reçoit encore 1200 Mm³/an d’eau de la Durance via la centrale Edf de St-Chamas. Cette eau – quatre fois la consommation annuelle des 5 millions d’habitants de PACA – est gaspillée car elle ne sert qu’à produire quelques KWh, sans contribuer à la vie où que ce soit. Pire: elle perturbe gravement la vie de l’étang. On peut l’économiser en transformant la chaîne hydroélectrique Durance en Station de Transfert de l’Énergie par Pompage (STEP): l’eau turbinée est remontée; la chaîne fonctionne à volume constant, avec des avantages énergétiques majeurs.
Économiser l’eau: un mauvais plan. C’est le plan de mise des canaux d’irrigation dans des tuyaux comme par exemple à Rognonas (13). La végétation des bords de ruisseau meurt; les nappes phréatiques ne sont plus alimentées. Or il semble que le stockage de l’eau dans les nappes phréatiques est le plus efficace.
Globalement l’aménagement de la Durance avec le détournement de son eau dans un canal usinier, parfaitement étanche, depuis Serre-Ponçon jusqu’à l’étang de Berre ne contribue pas à économiser, l’eau mais à la gaspiller et à mettre la ressource en danger par l’assèchement de la rivière et de ses nappes alluviales.
Voir: http://www.letangnouveau.org