La Crau est alimentée par le canal

Dans la plaine de la Crau, il n’y a pas d’eau. Alors depuis des siècles, les hommes l’amènent par des canaux. Elle irrigue les prairies à foin et recharge la nappe phréatique. Un système efficace, mais menacé.

Le saviez-vous ? Il y a  20 000 ans, la Crau  était baignée par le delta de la Durance, qui se jetait alors dans la Méditerranée, longeant les Alpilles, Arles et Istres. Mais lorsqu’après un accident tectonique,  le cours de « l’Eau vive » s’est dirigé vers Avignon pour se jeter dans le Rhône, la plaine de la Crau s’est retrouvée au sec.

L’irrigation gravitaire multiséculaire

Au XVIe siècle, le canal de Craponne remédie à cet état de fait et permet de détourner une partie des eaux de la Durance vers le bassin qu’est la Crau. Si le sud de la plaine reste une steppe sèche,  près de 15 000 ha de prairies irriguées sont plantées avec du foin de la Crau. Un fourrage de qualité, seul produit non alimentaire aujourd’hui en France, à bénéficier d’une AOP. Vergers, oliviers et maraîchages se développent aussi, tout comme l’élevage ovin avec deux appellations IGP : le mérinos d’Arles et l’agneau de Sisteron.

la Crau et les moutons

L’élevage dans la Crau participe au bon équilibre du milieu naturel ©F. Trolard

Le mode d’irrigation de la Crau est dit gravitaire et fonctionne par tour d’eau. Sur les canaux, les agriculteurs ouvrent et ferment les martelières chacun à leur tour pour inonder les prairies.  Un système gourmand en eau. A l’heure où la ressource commence à manquer, notamment dans le bassin versant de la Durance, la question d’une irrigation par aspersion ou goutte-à-goutte–bien plus économe- se pose.

Un système résilient à protéger

Mais pour la géochimiste Fabienne Trolard, Directrice de recherches à l’INRAE, qui travaille depuis des années sur la question, le système gravitaire de la Crau ne doit pas disparaître. Il assure  -au-delà des productions agricoles labellisées- la fertilité des sols et la bonne santé écologique des marais et des étangs. Et ce n’est pas tout.

la Crau et l'irrigation gravitaire

L’irrigation gravitaire est précieuse pour l’agriculture mais aussi pour l’écosystème de la Crau ©F. Trolard

 « Le système des canaux est très résilient, il encaisse bien le changement climatique. De plus, l’irrigation gravitaire recharge la nappe de la Crau à 80% ». Avec 55 millions de m3 d’eau douce, c’est la 2e nappe phréatique de France après celle d’Alsace. Et depuis l’édification du barrage de Serre-Ponçon, sa capacité a même augmenté de 10% en volume.

Une nappe précieuse

Elle répond à tous les besoins du territoire dont  l’industrie et l’agriculture. Et elle alimente 300 000 habitants en eau potable. « C’est une eau très propre, précise Fabienne Trolard, également membre de l’Académie d’Agriculture de France. Le foin ne nécessite aucun traitement chimique, on ne trouve ni algues vertes ni eutrophisation dans les marais».

le foin de la Crau

le foin de la Crau est particulièrement recherché et apprécié par les éleveurs pour ses qualités ©F. Trolard

Un ha de prairie alimente en eau aujourd’hui 200 personnes/an. Mais la réduction de 14% des prairies humides entraînerait une baisse de 30% d’eau dans la nappe. « Aujourd’hui, grâce à l’irrigation gravitaire régulière, le territoire de la Crau ne connaît pas d’année blanche. La nappe se recharge rapidement. Les pluies de mars s’y retrouvent dès novembre ou décembre », témoigne la spécialiste de la géochimie des sols et des eaux.

Répondre aux défis d’aujourd’hui

Cependant, le système gravitaire pourrait être amélioré. Par exemple en installant un pilotage automatique des martelières, ou encore en rajoutant des micro-centrales sur certains des canaux au plus près des usagers, de façon à constituer une réserve d’eau dans la partie aval du canal EDF. Ceci permettrait de réduire les rejets d’eau douce dans l’Etang de Berre (qui connaît aujourd’hui des problèmes environnementaux liés à ces rejets). Ces propositions sont aujourd’hui à l’étude.

le canal EDF
©F. Trolard

Tout comme la réflexion conduite sur l’aménagement des canaux. On constate aujourd’hui qu’il est préférable pour le bon équilibre écologique du territoire, est que l’eau douce y chemine le plus longtemps possible. Alors il est question de revenir à des berges naturelles. Plus perméables, elles favorisent la constitution de sols de bonne qualité. Autre solution,  casser la rectitude des voies d’eau, en reformant des méandres, ou en modifier le débit.

Ressources naturelles versus développement économique

Car la Crau n’échappera pas au changement climatique. Mais plus grave encore,  c’est le grignotage du foncier, avec le développement urbain qui menace aujourd’hui tout l’équilibre hydrologique du territoire. «L’urbanisation se fait plus facilement sur les prairies humides irriguées que dans la Crau sèche. Or celles-ci ont un rôle clé dans le renouvellement de l’eau dans la Crau », explique Fabienne Trolard.

canal d'irrigation

Un canal d’irrigation ©F. Trolard

Face à ces menaces, faudra-t-il augmenter fortement le prix de l’eau ? Réduire le maraîchage ? Les activités portuaires ? Les richesses naturelles, telles que l’eau et les sols ont permis aux humains leur développement économique.  Mais celui-ci, en participant à la dégradation ou la raréfaction de ces ressources, est à son tour compromis. Un cercle infernal dont il est urgent de sortir.

La Crau

Cette plaine d’environ 550 km2 se situe dans l’ancien delta de la Durance, dans les Bouches-du-Rhône, proche de la Camargue. Elle forme un triangle entre  Arles, Salon-de-Provence et le golfe de Fos-sur-Mer. On trouve au Nord le massif des Alpilles, à l’Ouest le delta du Rhône et au Sud l’Etang de Berre et la Méditerranée.
Protégée par une zone Natura 2000 et la réserve naturelle des Coussouls de Crau, elle est malgré tout impactée par des projets incompatibles avec sa biodiversité et ses paysages.

ASTUCE & TIC

Dans les années 2008/2011, Astuce & Tic réunit, dans un consortium, des chercheurs, -dont Fabienne Trolard- des économistes et des ingénieurs dans les domaines des ressources eau et sol, agronomie, urbanisation et technologies de l’information.
ASTUCE&TIC pour : Anticipation des aménagements Sécurisés des Territoires Urbanisés, des Campagnes et de leur Environnement par les Technologies de l’Information et de la Communication.

Fabienne Trolard est directrice de recherches à l’INRAE et membre de l’Académie d’agriculture de france ©INRAE

La science au service des acteurs

Objectif ? Etudier l’état de l’eau et des sols (éléments naturels des territoires et fondements de toute économie locale) afin d’analyser leur évolution et de proposer une aide à la décision des acteurs des territoires. Autrement dit, combiner outils et données des différentes sciences pour mesurer l’impact environnemental des décisions.
La Crau a été le terrain d’étude idéal. Ce territoire est en effet représentatif de nombreuses situations autour de la Méditerranée et en Afrique. Notamment la surconsommation des espaces et la dégradation des milieux.

Une filiole, petit canal d’irrigation © F. Trolard

L’eau enjeu majeur

L’eau est apparue comme un des défis majeurs. Comment développer le territoire tout en minimisant l’impact sur les ressources ? L’étude a proposé 3 scenarii à l’horizon 2030.
Parmi les conclusions de ce travail, la nécessité d’une vision d’ensemble avant de lancer des projets à l’échelle d’un secteur. Et l’affirmation que tout projet ayant des conséquences négatives sur l’eau et les sols devrait être réévalué.
A travers d’autres travaux plus récents, Fabienne Trolard et ses équipes ont mis au point une méthode d’intégration des indicateurs de qualité des sols et des eaux au service des collectivités locales.
Ouvrage publié www.editions-johanet.com  « Territoires, villes et campagnes face à l’étalement urbain et au changement climatique ».