Nous avons profité du Salon des Agricultures de Provence, qui s’est tenu à Salon-de-Provence du 31 mai au 2 juin pour bénéficier de la visite rare d’un équipement peu connu mais majeur pour l’irrigation de la Crau, le partiteur du Merle.
Un partiteur, kesako ? Eh bien c’est un lieu de partage des eaux. Un bassin de retenue réceptionne et quantifie l’eau à son passage, puis la répartit vers différents canaux via des déversoirs. Celui du Merle a une particularité : il se surimpose (passe au dessus) au Canal de Craponne branche d’Istres (construction de 1559…) pour distribuer l’eau dans plusieurs directions, pour des usages multiples, eau potable, industrielle et agricole.
Au début était Adam de Craponne
La sécheresse en Provence, cela ne date pas de 2022… Déjà au XVIe siècle la région avait connu une succession d’années difficiles. L’ingénieur Adam de Craponne a donc imaginé le transfert des eaux de la Durance (3ème fléau de la Provence !!!) pour résoudre ce problème. L’idée était de construire un équipement à vocation multiple, avant tout pour un usage usinier (alimenter les moulins sur son trajet) mais aussi permettre l’arrosage des cultures. Dernière plaine steppique d’Europe, la Crau est alors un « coussoul », c’est-à-dire une terre aride avec des cailloux et une végétation rase. Ce n’est plus le cas aujourd’hui !!
Une steppe transformée en prairie
A partir du Canal de Craponne, dont la prise sur la Durance se situe à La Roque d’Anthéron, un réseau dense de « sous-canaux » a été créé afin d’apporter l’eau dans la Crau. Celui qui alimente le partiteur est le Canal du Congrès, qui date de 1785. C’est la « gare de triage » du partiteur qui va alimenter l’ensemble des bénéficiaires situés en aval. La répartition dans les canaux se fait en fonction des droits d’eau de chaque branche.
Un chef d’orchestre, « l’Eygadier »
Marylène BONFILLON, est notre guide du jour. Elue à Salon en charge notamment de l’agriculture, elle est aussi l’auteur d’un livre sur l’histoire du Canal de Craponne. Elle nous raconte le quotidien du garde canal. « L’eyguadier a la lourde charge d’orchestrer la distribution vers les 7 canaux existant sur place. Il a aussi pour mission de surveiller le niveau du bassin qui doit rester constant. En fait, le débit dans chacun des canaux doit permettre une distribution équilibrée, afin que personne ne soit lésé. Le site s’est modernisé, et dispose désormais de capteurs connectés qui mesurent en permanence la hauteur d’eau. Via son téléphone, l’eygadier peut désormais intervenir sans nécessairement se déplacer ».
Le foin de Crau a encore de beaux jours devant lui
La préservation du site du partiteur a plusieurs objectifs. Tout d’abord conserver un ouvrage d’exception qui fait encore la preuve de son utilité. La pratique de l’irrigation gravitaire grâce au réseau des canaux a comme avantage majeur de restituer une grande partie de l’eau à la nappe phréatique de la Crau. Celle-ci alimente un bassin de vie représentant plus de 300 000 personnes. Il est donc essentiel d’en préserver la recharge en eau de qualité.
Quant au site autour du partiteur, il accueille une grande biodiversité. L’eau, la végétation arborée, les prairies alentours représentent un lieu exceptionnel pour la faune et la flore.
Ce lieu est vraiment spectaculaire. Et les visiteurs reconnaissent avoir du mal à réaliser que toutes ces réalisations sont nées au XVIème siècle, même si elles ont été améliorées au fil du temps… La Provence a eu la chance qu’Adam de Craponne soit salonais et permette ainsi à ce territoire d’être ce qu’il est aujourd’hui !
Comprendre le système d’irrigation de la Crau (source : ASA compagnie de Craponne)
Une fois l’eau transportée par un grand canal (Craponne, Boisgelin-Craponne), elle est délivrée à un canal plus petit. Chaque concessionnaire peut acquérir un droit d’eau soit en rachetant des terres agricoles (droit d’eau rattaché à la terre), soit en achetant directement des droits supplémentaires. L’exploitant dirige l’eau qui arrive à sa prise vers ses prairies, ses légumes ou ses arbres, au travers de petits canaux et rigoles.
Un système bien organisé
Les Associations Syndicales Autorisées (ASA) ou de Propriétaires (ASP) ont en charge la gestion des ouvrages hydrauliques. Gravitaires ou sous pression, ils sont destinés au transport d’eau brute pour l’irrigation des parcelles comprises dans les périmètres de ses structures membres. Les associations assurent aussi la gestion et la surveillance de la répartition de l’eau ainsi que l’exécution des travaux neufs et de rénovation.
Vers une reconnaissance de l’irrigation gravitaire au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco (avril 2024)
Dans les Bouches-du-Rhône, l’irrigation gravitaire a depuis des siècles transformé l’économie locale et les paysages. Elle participe au dynamisme de l’agriculture et revêt des spécificités culturelles qu’il convient de sauvegarder. Parmi elles, on pourra notamment citer les fondements de l’irrigation traditionnelle, les pratiques d’entretien des canaux, les réglementations liées à ce type d’irrigation. Les « mots » locaux de cette irrigation (par exemple béal, filioles, baïsse, calan…) sont toujours utilisés. Une démarche est en cours, soutenue par la Fédération des Structures Hydrauliques des Bouches du Rhône, la Chambre d’Agriculture des Bouches du Rhône, de nombreuses ASP. Un réseau s’est constitué sur le pays avec l’appui d’enseignants chercheurs de la Sorbonne.