Il se présente comme “herbassier-transhumant”. Nicolas Sotil est berger entre Luberon et Monts de Vaucluse et transhume l’été. Métier de passion pas si facile, entre loups, chiens de protection, promeneurs, propriétaires fonciers et institutions. Bleu Tomate l’a rencontré.
Nicolas Sotil marche sur les pas de son troupeau. Ses 350 brebis et agneaux sont placés sous la vigilante attention de ses 7 chiens de protection et de ses 3 chiens de conduite.
Les chiens de protection … ils sont indispensables à la lutte contre la prédation. Leur présence est même encouragée par les institutions. Mais s’ils impressionnent les loups, ils intimident aussi souvent les passants.
Toujours sur le qui-vive
Nous en sommes témoins ce jour-là. Dans une ambiance sereine et bucolique, tout à coup, les chiens se redressent, le berger fait silence et se tend, un premier chien se met à aboyer bruyamment, suivi par les autres. Ils se déplacent très vite, formant une barrière de protection imposante entre un danger que nous, humains, ne distinguons pas encore. Les brebis connaissent aussi leur affaire. Elles se regroupent serrées les unes contre les autres.
C’est impressionnant, réglé comme du papier à musique. Finalement, une marcheuse passe dans le calme. Chiens, Brebis et berger s’apaisent aussi. La conversation reprend.
C’est dire la nervosité qui règne ici. Nicolas nous explique : « ce matin j’ai vu des traces de pas de loup en contrebas du pré où pâturent les brebis. » Pourtant ici à Bonnieux, sur les coteaux du Petit Luberon, la zone est peu sauvage.
A chacun de s’adapter
Du travail avec les chiens, Nicolats Sotil en a fait une composante à part entière de son métier. Il les élève lui-même, les sélectionne, observe leur comportement au quotidien, ils sont ses fiers partenaires dans la conduite du troupeau.
« Le problème c’est qu’on leur en demande beaucoup : il faut qu’ils fassent leur travail de protection du troupeau et donc alerter, aboyer et parfois chasser. Et qu’ils restent calmes et silencieux à l’approche des humains » nous partage Nicolas, relevant l’injonction contradictoire. Le pire risque, ce sont les chiens que les promeneurs ne tiennent pas en laisse. Ils peuvent adopter des comportements de jeu ou même d’attaque dont l’issue peut être fatale.
« Moi je suis là où je dois être pour exercer mon métier. Si les gens sont éduqués et adoptent les bons comportements en restant à distance et en tenant leurs chiens en laisse il n’y a pas de souci. »
Les pertes liées au loup sont importantes surtout en transhumance dans les zones de montagne où la prédation est encore bien plus fréquente. De plus, elles sont mal indemnisées. Nicolas nous confie que « tant que le loup chasse par opportunité et prélève quelques bêtes de temps en temps, ça va. Mais je ne vous cache pas que si un jour je dois faire face à un carnage et qu’il m’en enlève 40… je ne m’en relèverai pas ».
La quête de l’herbe
La passion de Nicolas est dévorante, tout comme sa fierté de mener ce troupeau dans la plus pure tradition pastorale du territoire du Luberon : « Je suis herbassier-transhumant » affirme-t-il avec une pointe d’insolence dans la voix. « L’aspect de mon travail le plus stressant, c’est de trouver l’herbe pour y mener mon rail, mon troupeau. J’ai très peu de marge de manœuvre. Je passe la moitié de mon temps à démarcher les propriétaires des terrains ».
En effet, il doit assurer un parcours continu du troupeau qu’il mène à pied et déplace de place d’herbe en place d’herbe quasi-quotidiennement. « Je tiens à garder moi-même mes brebis tout le jour et je les installe en parc à la nuit tombée » sous la surveillance sans faille des chiens.
Ainsi, le troupeau passe-t-il 365 jours par an en extérieur. Il se nourrit exclusivement d’herbe.
« L’herbe appartient aux ruminants, et les brebis ne détruisent pas les sols car elles ne sont pas lourdes. En revanche, il faut savoir à quel moment les sortir d’une place, afin de préserver la parcelle pour l’année suivante. Je dois éviter qu’elles ne piétinent leur propre assiette. Ainsi, je suis un peu un « jardinier des collines ».
Élus et berger partenaires
Afin de poursuivre sur la voix qu’il s’est tracée et de gagner en sérénité, Nicolas Sotil a signé avec la Commune des Taillades (Vaucluse) et différents partenaires, une convention pastorale. « C’est une opportunité, une rampe de lancement. C’est une manière de faire à l’année ce que je fais en montagne et d’éviter les filets ».
Pour l’avenir, le berger affirme : « Je ne souhaite pas agrandir mon troupeau et je veux garder la même manière de travailler. Nous sommes les garants de ce mode de pastoralisme traditionnel». Il ajoute, philosophe, « je suis curieux de ce que nous réservera l’avenir». Et pourquoi pas contribuer au maintien de ce beau patrimoine rural en accompagnant la relève ?
Les Agneaux de Flo
C’est sous ce nom que Nicolas Sotil, installé en tant que berger depuis 4 ans dans le massif du Petit Luberon, assure la vente directe de la viande de ses agneaux mâles.
Ancien dresseur de chevaux, Nicolas élève un troupeau de 350 brebis, en pâturage extérieur toute l’année. Le croisement qu’il a choisi lui permet d’allier les aptitudes de deux races : Mourérous et Dorper. La première, rustique pour adapter le troupeau à la vie hors abris et la seconde, race dite « bouchère », assure la qualité de la viande.
Son cheptel se compose également de 7 béliers « gardés à la maison » pour la reproduction. Afin de préserver la santé des brebis, l’agnelage n’a lieu qu’une fois par an en octobre. Il produit ainsi une centaine d’agneaux mâles, vendus à la ferme et environ 80 femelles qui rejoindront le troupeau. Ces brebis seront réformées à l’âge de 6 ans. Leur vente permettra la création d’un nouveau troupeau bénéficiant de toutes les qualités héréditaires sélectionnées par le berger.
Les pâturages : restaurant 3 étoiles
Dans ses choix de pâturage, Nicolas Sotil est attentif à la qualité de l’herbe. Il privilégie les vignobles en bio et les friches semées de sainfoin ou de luzerne, intéressantes d’un point de vue nutritif. Le parcours des brebis est assez rythmé puisqu’elles consomment environ 2 ha en 48h, il faut donc les déplacer fréquemment.
C’est un choix assumé par le berger qui affirme que comme « tu vis sur leur dos, finalement, tu te dois de les maintenir dans les mêmes conditions que tu t’infligerais à toi. Je dois pouvoir me coucher le soir en étant convaincu d’avoir fait le maximum de ce que je peux faire pour elles ».
Pour suivre l’actualité des agneaux de flo : https://www.facebook.com/Nicolas30470?locale=fr_FR
Une convention pastorale commune-berger
C’est la commune des Taillades, au pied du Luberon, qui s’est engagée pour les 5 ans à venir. Nicolas Sotil et son troupeau de 350 têtes auront pour tâche de parcourir des parcelles municipales d’avril à mi-juin.
La convention, en partenariat avec l’ONF, le Parc naturel régional du Luberon et le CERPAM (Centre d’études et de réalisation pastorale Alpes-Méditerranée), prévoit la mise à disposition contre une redevance, de 80 ha de terrains communaux, garrigues, sous-bois et forêts, et particulièrement le long de la piste DFCI (défense des forêts contre l’incendie). Enjeu sensible, elle doit être débroussaillée sur 100 mètres de chaque côté. L’an dernier un engin est passé.
« Le résultat n’a pas été très satisfaisant, explique Bérengère Montagne, adjointe à l’environnement aux Taillades. Il y a eu quelques désordres pour les sols. La présence du troupeau et du berger, devrait mettre en place un débroussaillage plus doux ».
Environnement et vie économique
Outre la lutte contre l’incendie, particulièrement stratégique pour la commune, qui s’étire sur les flancs du Luberon, la préservation de la biodiversité –grâce au maintien de milieux ouverts- et d’une activité rurale traditionnelle sont deux autres enjeux de taille.
L’opération sera d’ailleurs suivie de près par l’ONF. En effet, quelques parcelles sont à protéger des brebis potentiellement un peu trop gloutonnes ! C’est le cas des zones de régénération de pins d’Alep ou encore de celles où pousse la Gagée, plante protégée.
Et puis gare au surpâturage… Il pourrait entraîner une modification des éco-systèmes, en favorisant certaines plantes au détriment d’autres.
Un berger heureux
Ces précautions intégrées, Nicolas Sotil et ses brebis vont parcourir trois mois durant, les contreforts du Luberon. Nicolas se réjouit déjà de « se promener toute la journée sur toute la « convention » (le périmètre défini). J’aimerais faire toute l’année ce que je fais l’été ! [ndlr : à la montagne]. Et si ça se passe bien, j’espère que d’autres communes y viendront, il y a de l’espace, surtout pour des petits troupeaux comme le mien ».
Pour les deux parties, le pari sera gagné si un travail de sensibilisation et de pédagogie se mène en même temps, à destination des promeneurs et autres usagers du massif. Bérengère Montagne prévoit la distribution de flyers sur le pastoralisme et un travail auprès des écoliers. Et pourquoi pas une fête au moment de la traversée du village par le berger et le troupeau ?
Josiane Bouillet