Evènement rare, douze nids de cette tortue marine ont été recensés cet été sur les plages de la Méditerranée française. Les trois trouvés sur le territoire du Parc National de Port-Cros, dans le Var, suscitent autant de joie qu’ils questionnent sur leur présence inattendue.
Le spectacle est réjouissant. Emergeant du nid, un tortillon (bébé tortue) s’extraie péniblement du sable sur la plage de la Bergerie, à Hyères. Cinq à dix minutes d’efforts plus tard, dévalant vers la mer à coups de pattes malhabiles, il touche la première vaguelette et disparait en Méditerranée. Etape préliminaire mais fragile d’une vie marine qui s’annonce hautement périlleuse…
Sur la côte et l’île de Porquerolles
Cette attraction naturelle a donné le sourire cet été aux scientifiques du Parc National de Port-Cros. Pour la première fois, trois nids de tortues caouannes y ont été recensés : deux sur les plages de la Bergerie et de la Capte, dans la presqu’île de Giens ; un sur la plage Noire du Langoustier, sur l’île de Porquerolles. « Il y avait eu quelques nids ponctuellement ces dernières années sur la côte méditerranéenne française. Mais en 2023, avec 12 nids, c’est un record », réagit Louise Freyburger, chargée de mission « Milieu marin et sanctuaire Pélagos » au parc, coordinatrice du dossier « tortues marines ».
Une espèce plutôt de Méditerranée orientale
Aux trois nids du parc s’en ajoutent en effet neuf : cinq autres dans le Var et les Alpes-Maritimes (à Fréjus, Saint-Cyr-sur-Mer, Villeneuve-Loubet…), deux dans l’Hérault et deux en Corse. « L’espèce est présente dans tous les océans et les mers tempérés. Mais en Méditerranée, on trouve plutôt la tortue caouanne sur les côtes orientales, en Turquie, en Grèce ou à Chypre », ajoute la jeune femme.
80 à 120 œufs par nid
Depuis la ponte, imprévue, les nids font l’objet d’une surveillance attentive par les équipes du Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF) et celles du parc. « La ponte a lieu entre juin et fin août. La tortue femelle, qui peut mesurer jusqu’à 1 m et peser 90 kg, sort de l’eau et va le plus loin possible sur la plage. Elle creuse en général un faux nid pour détourner les prédateurs puis en creuse un second, où elle pond 80 à 120 œufs, à environ 30 cm de profondeur. Ensuite, elle repart et ne revient plus jamais », explique la scientifique, océanographe et spécialiste d’écologie marine.
Deux nids à éclore en septembre
Entre 40 et 65 jours plus tard, parfois plus, vient la période d’émergence. En août, 26 tortillons sont ainsi partis à la mer depuis le nid de la plage de la Bergerie, creusé le 21 juin.
Avec les équipes, « nous surveillons en ce moment H24 les deux autres nids, notamment pour les protéger des prédateurs, chiens, renards… ». Enfouis le 15 et le 27 juillet, les œufs des « couveuses » de Porquerolles et de la plage de la Capte sont sur le point d’éclore… Protégés par des barrières explicatives, ils suscitent la curiosité des promeneurs.
Réchauffement des eaux…
Reste à trouver l’explication à leur présence accrue cet été. Deux hypothèses émergent. Selon Louise Freyburger, « la première est le réchauffement des eaux. La tortue caouanne suit en général les courants chauds. Combiné à la montée des eaux qui fait disparaître certaines plages, cela peut expliquer leur migration vers la Méditerranée occidentale ».
… ou effet de la protection de l’espèce ?
Cette supposition climato-inquiétante se double d’une autre, plus heureuse. « La tortue caouanne est classée depuis longtemps comme vulnérable sur la liste rouge de l’UICN*, c’est une espèce protégée. Peut-être que cette conservation commence à produire ses effets. En étant plus nombreuse, l’espèce doit trouver de nouveaux espaces pour pondre », veulent croire Louise Freyburger et les scientifiques du parc. La salubrité des côtes du territoire du Parc National, sur le littoral comme dans les îles, aurait pu inciter trois tortues à venir pondre sur celles-ci.
Valeur pédagogique
La vérité se trouve peut-être dans une combinaison entre les deux explications. Quoiqu’il en soit, ces pontes ont une valeur pédagogique forte. « Au-delà de la joie de revoir ces tortues sur nos côtes, cela permet de véhiculer des messages auprès de la population, sur les risques pour l’espèce liés au plastique, aux filets de pêche, aux hélices de bateaux… On en vient même à dire aux gens de ne pas enlever les méduses qu’ils trouvent en bord de rivage, car les tortues s’en nourrissent », insiste Louise Freyburger. Si ce retour se double d’une meilleure éducation à l’environnement du public, alors la tortue caouanne sera bienvenue en 2024 et les années suivantes.
*UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature.
Photo de 1 : Bientôt dans l’eau, après 5 à 10 mn d’effort sur le sable @ Marie Claire GOMEZ Parc National de Port CrosSanctuaire Pelagos, aire pour mammifères marins
Le Parc national de Port-Cros anime la partie française du sanctuaire Pelagos, vaste réserve maritime de 87 000 km² fondé et cogéré depuis 1999 par la France, l’Italie et Monaco, pour protéger les mammifères marins en Méditerranée. Etendu entre la Méditerranée française et italienne jusqu’aux côtes du nord de la Sardaigne, incluant la Corse, il abrite huit espèces : cinq sortes de dauphins, ainsi que le globicéphale noir, le cachalot et le rorqual commun. Le parc a notamment pour mission de faire respecter la réglementation en matière d’observation animale, comme les distances minimales d’approche et la vitesse des bateaux. « On peut observer des dauphins, très nombreux, et beaucoup de rorquals. Certains de mes collègues ont vu des bébés rorquals, cela prouve que le milieu n’est pas si mauvais que ça », pense Louise Freyburger.