Cette graminée est à la fois une menace pour nos cours d’eau et une matière première précieuse pour les musiciens du monde entier. Elle pourrait être aussi une ressource très prometteuse pour supplanter le plastique. Décryptage avec Nicolas Patacchini, fondateur des Pailles de Provence.
Le long des cours d’eau, la canne de Provence, Arundo donax, est l’espèce la plus fréquemment rencontrée dans le sud de la France. Sa vigueur et sa bonne adaptation au climat méditerranéen en font une espèce à fort développement. Avec un sol bien irrigué, elle peut pousser de 3 m par saison !
Entre nuisances et enjeux
Originaire d’Asie, elle est implantée depuis l’Antiquité en Occident et forme des buissons hauts à la structure racinaire très puissante. Ses tiges ligneuses entrent en concurrence avec d’autres espèces indigènes des bords de rivière et dégradent les ripisylves. Lors des crues, si elle est arrachée, elle peut provoquer des embâcles qui augmentent les débordements. Les pouvoirs publics et syndicats de gestion des eaux pilotent des programmes de lutte contre cette espèce classée sur la liste noire des espèces exotiques invasives. Il y a donc un enjeu majeur en matière de biodiversité et de gestion des risques pour canaliser son développement, notamment dans les bassins versants de la Giscle et du Gapeau du littoral varois.
Une renommée mondiale
Mais cette espèce a aussi des atouts majeurs, que le monde de la musique lui reconnait depuis longtemps. La canne de Provence est particulièrement robuste et souple, des qualités optimales pour fabriquer des anches, ces accessoires indispensables au fonctionnement des instruments à vent comme le saxophone. Et plusieurs entreprises varoises, sont leaders sur ce marché. C’est ce savoir-faire local qui vaut, par exemple, le titre « d’Entreprise du Patrimoine Vivant » à l’une d’elle, la Maison Rigotti, installée à Cogolin.
Une alternative au « tout plastique »
Bien adaptée au climat local, robuste et souple, la canne de Provence est donc une ressource locale disponible. C’est justement ce qui a convaincu Nicolas Patacchini, de se lancer dans cette filière. « Issu d’entreprises de gestion des déchets et gérant de restaurants dans le golfe de Saint-Tropez, je faisais face à une problématique : l’interdiction des pailles plastiques au 1er Janvier 2020. Cela m’a donné l’idée d’utiliser la canne de Provence et plus particulièrement les déchets non exploités par les entreprises traditionnelles ». Ainsi étaient nées Les Pailles de Provence.
Ecologique, réutilisable, biodégradable, elle entre dans la confection de pailles, mais pas seulement. L’entreprise propose une gamme diversifiée à destination des professionnels de la restauration : cendriers de plage, porte-addition, spatules, étuis, salières et poivrières. Il est même possible de personnaliser ses produits avec une gravure réalisée au laser en atelier.
Créativité et innovation made in Provence
« Ramassée à l’état sauvage ou cultivée par les agriculteurs, elle est tout ce qu’il y a de plus écologique. Sans produit phytosanitaire, et avec une récolte, un effeuillage, une découpe et un séchage manuels, c’est une filière à faible impacts ». Et peut-être un nouveau débouché pour écouler les cannes coupées sur les chantiers de lutte préventive contre les inondations.
C’est aussi la conviction de l’association S.M.I.L.O. (Small Islands Organisation), engagée sur le projet « zéro plastique » qui vise à améliorer la gestion des déchets sur les cinq îles de Méditerranée partenaires (Levant/France, Lavezzi/Corse, Tavolara/Sardaigne, Kerkennah/Tunisie et Zlarin/Croatie).
Autre approche, celle d’Antoine Boudin, designer hyérois qui travaille la canne de Provence depuis 10 ans. Il est persuadé qu’il y a matière à créer une filière diversifiée, avec la ressource disponible et le savoir-faire présent localement. Une opportunité pour diversifier la production d’objets dans les univers de la décoration, des arts de la table, du mobilier ou bien d’autres encore. Une filière prometteuse donc et made in Provence.