Jean-Christophe Robert, le cofondateur de cette association créée en 2009 à Marseille pour favoriser les circuits courts et une alimentation éco-responsable porte un regard aiguisé sur la crise sanitaire. Il la voit comme une opportunité d’encourager les modèles alternatifs défendus depuis l’origine.
Qu’est-ce que la crise du Covid-19 nous dit sur notre modèle d’organisation agricole et alimentaire ?
Elle révèle la fragilité du système sur l’ensemble de la chaine, de la production à la distribution en passant par la transformation et le social. On le voit bien en ce moment avec la difficulté de mobiliser les ressources humaines pour aller travailler dans les champs. Les modèles agricoles intensifs à grandes surfaces ont besoin de produire à bas coûts en recourant à des saisonniers étrangers. Avec la fermeture des frontières, ce n’est plus possible. Les « petits paysans », eux, n’ont pas ce problème. Ils ont recours à de la main d’œuvre locale, mieux payée car les productions sont mieux valorisées.
La logistique agricole est aussi impactée par la pandémie…
Il y a des difficultés d’approvisionnement pour certains produits intermédiaires, comme les intrants pour les agriculteurs qui utilisent des produits chimiques, ou les plants et fertilisants. Sur ce dernier point, notre agriculture ne produit pas ses propres semences et n’est donc pas autonome. La transformation est aussi impactée. C’est le cas de la filière meunière. Les phénomènes de stockage liés à la panique et l’explosion de la consommation de farine révèlent les faiblesses de ce secteur qui fonctionne à flux tendus et n’a pas la réactivité suffisante pour s’adapter dans l’urgence.
Au-delà, observez-vous de nouveaux comportements d’achats de la part des citoyens ?
Oui, il y a une remise en cause des habitudes de consommation des ménages. Les circuits courts prennent de plus en plus d’importance. On le voit nettement avec le succès de tous les circuits alternatifs, AMAP, Paniers Marseillais, épiceries paysannes…
La crise est donc une formidable occasion de changer de modèle…
Je ne m’aventurerai pas encore pour dire qu’elle va provoquer un changement durable. Elle constitue en tout cas une véritable opportunité d’évolution car elle met en lumière les limites de notre système. L’opinion publique évolue rapidement et les acteurs économiques sentent que le vent tourne. Il suffit d’écouter les géants de la GMS : ils n’ont que les mots « local » et « paysan » à la bouche !
L’évolution des comportements encourage-t-elle la démarche que vous conduisez depuis la création de l’association ?
Oui, bien sûr. Notre action repose sur quatre axes : citoyen, territorial, national et européen. A l’échelle du consommateur-citoyen, nous prônons le recours à l’autoproduction, quand cela est possible. Nous encourageons aussi l’utilisation des circuits de vente directe et un changement d’habitudes alimentaires. C’est un très point important : la consommation de viande et donc de protéines animales a pour effet d’augmenter les cultures intensives dommageables de soja. Si l’on baisse cette consommation, l’économie réalisée par chaque ménage permettra non seulement d’améliorer sa santé mais de libérer du pouvoir d’achat pour acheter un peu plus cher des produits locaux.
Pour cela, il faut que les institutionnels locaux « suivent ». Sont-ils prêts ?
On essaye de les mettre autour de la table. Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) sont un bon levier. Suite aux travaux que Filière Paysanne a menés avec des élus parlementaires, ils ont été adoptés dès 2016 par la Métropole Aix-Marseille-Provence et le Pays d’Arles. Nous avons aussi proposé en 2010 un Plan de souveraineté alimentaire régional aux élus de la Région Sud PACA, visant à identifier les filières de productions à relocaliser en priorité et les ressources foncières hydriques et autres pouvant être mobilisées pour cela. Mais il reste du travail. On s’aperçoit par exemple que les PAT ont été plutôt pensés en termes de qualité mais pas assez vers la quantité et une meilleure autonomie du territoire.
Qu’en est-il au niveau national ?
En France, la mise en application du scénario Afterres 2050 permet d’identifier les modifications que nous devons mettre en œuvre au niveau de notre production agricole et de notre alimentation quotidienne afin d’augmenter notamment notre autonomie alimentaire, d’améliorer notre niveau de santé et de réduire le bilan carbone de nos assiettes. Face à la crise sanitaire que traverse actuellement le pays, au défi climatique et à la nécessité de relocaliser une bonne partie de notre production, la mise en application effective du scénario Afterres2050 apparaît aujourd’hui comme une urgence nationale de premier ordre.
Mais l’Europe doit aussi être impliquée dans cette démarche…
Le fait que la Politique Agricole Commune (PAC) soit l’une des plus anciennes de l’Union Européenne (UE) nous met dans un contexte a priori favorable. Il n’existe pas d’équivalent en matière de santé, on le voit bien depuis ces dernières semaines. La PAC est en train d’être redéfinie pour les sept ans à venir et avec la secousse que l’on vient de prendre, c’est l’occasion de l’orienter vers un objectif de sécurisation alimentaire. Chaque État-membre doit en effet se doter d’un Plan Stratégique National (PSN PAC) afin de préciser ses priorités et d’orienter les fonds européens qui lui seront versés. Filière Paysanne propose que le scénario Afterres2050 et le Programme National Nutrition Santé 4 (PNNS 4, 2019-2023) servent de base à l’élaboration du PSN PAC français. Il y a un écosystème à créer entre les pays de l’UE dans une logique de complémentarité et de diversification alimentaire.
Certains soutiennent que les pandémies mondiales ont toujours existé (peste, grippe espagnole…) et que la globalisation ne peut être mise en cause dans cette crise sanitaire. Etablissez-vous un lien direct entre la situation actuelle et la mondialisation ?
La mondialisation des échanges a provoqué l’apparition en Europe du frelon asiatique, de parasites comme celui de l’olivier ou du châtaignier et de la Pyrale du buis. A travers ce rôle d’atelier du monde donné à l’Asie, il y a eu importation de ces espèces invasives. Cela devait arriver un jour ou l’autre pour l’espèce humaine et l’ultra mobilité a pu aider à la diffusion du virus. Mais si la mondialisation peut être une menace, elle permet une collaboration mondiale au niveau de la santé. C’est aussi grâce à elle que l’on peut apporter des solutions à la crise et c’est, en prime, un facteur de paix. La solution est donc de repartir du local mais en restant toujours connecté à l’écosystème européen et mondial.