60 ans que le photographe allemand parcourt le monde et revient inlassablement chez lui, en Provence. Ses sujets ? Les hommes et les femmes mais aussi la nature, sa beauté et ses blessures. Un citoyen engagé, toujours partant pour raconter son amour du Luberon et ses combats pour un autre monde.
Dans le village de Lioux, le massif du Luberon, balayé ce jour-là par un fort mistral, s’étend dans toute sa puissance et scintille sous le soleil, face à la bergerie. Hans Silvester l’a achetée en 1960, en ruines, et l’a patiemment retapée. Il y a installé son poulailler et son jardin potager pour pratiquer, déjà et encore aujourd’hui, une certaine autonomie alimentaire.
Terre d’adoption
En consommateur avisé, il apprécie les bons produits, ceux qui ne sont pas « gonflés » à la chimie. « Ici on peut avoir des échanges très intéressants, par exemple sur le marché de Coustellet. C’est fabuleux ! On est au contact des producteurs, on peut les féliciter ou les critiquer… Je regarde les produits avant d’acheter. Ici on trouve une agriculture intelligente, poursuit-il, et même si tout le monde n’est pas en bio, beaucoup font attention… ».
Cette Provence à laquelle il est attaché, Hans Silvester l’a découverte à travers la Camargue et les Alpilles. A vélo, et en camping sauvage, le jeune photographe qu’il est alors apprécie « la qualité de vie et d’échanges avec les gens », un environnement propice à son envie de montrer la beauté.
Appareil en bandoulière
« La photo est pour moi le moyen d’exprimer ce que je vois, ce que je crois… La nature est essentielle, mais il y a aussi la culture. Pour moi l’art populaire est très important, c’est la beauté créée par les gens », explique Hans Silvester. Pour preuve sa série de photos d’épouvantails, saisis en Provence mais aussi à travers le monde entier, qui fait l’objet d’un livre à paraître à l’automne (éditions La Martinière).
Militant de l’environnement
Depuis toujours sensible à l’environnement, le photographe visite, dans les années 80, les réserves et parcs naturels du monde entier pour le magazine Geo. Il y rencontre les responsables et prend conscience alors que les plus beaux endroits du monde sont dans une situation de grande fragilité. Faune menacée, eau polluée et gaspillée, sols épuisés, « la chimie va partout avec les pluies et le vent, c’est terrifiant … »
« J’ai beaucoup voyagé, j’ai vu l’agriculture aux Etats-Unis, au Brésil. Avec la nourriture, il faut faire attention, se désole le photographe. L’élevage intensif, c’est une bombe atomique ! Et les virus, je l’ai dit il y a 10 ans ! ». Comme aux Etats-Unis, avec cette exploitation de la taille d’une ville qui produit 900 porcs chaque jour. Ou en Chine, avec une usine de canards qui emploie 85 000 salariés… Pendant 10 ans, infatigablement, Hans Silvester, révolté, montre et interpelle… Des photos « à la beauté du diable », car pour être publiées, constate-t-il, « elles doivent paradoxalement surprendre par leur esthétique ».
En Provence aussi
Mais pas besoin d’aller au bout du monde pour constater les effets de la pollution ! Avec son reportage sur le Calavon, une rivière du Luberon ravagée dans les années 70 par les rejets industriels, Hans Silvester édite un ouvrage qu’il intitule « La rivière assassinée ». La force des photos alliée aux actions de terrain permettra enfin que des mesures soient prises par les pouvoirs publics.
S’il a du mal à se dire optimiste, Hans Silvester cherche des raisons d’espérer. Peut-être sont-elles à chercher dans la sortie de la crise sanitaire mais aussi économique et sociale que le monde traverse en ce moment, même si cela lui parait compliqué.
Des raisons d’espérer
« La priorité pourrait être la nourriture. Cela touche tout le monde. Si les gens se remettaient à faire la cuisine, il y aurait des milliards d’économies pour la sécurité sociale, sourit-il… Et puis l’autre atout du changement, c’est la carte de crédit, si les consommateurs l’utilisaient autrement ».
Il constate que ce sera plus difficile pour la voiture, même si les grandes villes comme Fribourg en Allemagne ou Gand en Belgique montrent que la vie revient pour peu qu’on en réduise l’emprise. Et puis l’espoir se trouve aussi sûrement dans les écoles, pour peu que les adultes sachent informer et sensibiliser les enfants.
Embrasser toute l’humanité
Ces 20 dernières années, Hans Silvester s’est rendu une quarantaine de fois dans la vallée de l’Omo, en Ethiopie, considérée comme le berceau de l’humanité. Il y a photographié sans relâche des peuples – qui l’ont accueilli en toute fraternité – aujourd’hui rattrapés par la spéculation foncière et le tourisme. Un autre monde, dit-il, qu’il veut saisir avant qu’il ne disparaisse. De ces rencontres, à l’image de Voltaire, il a acquis la conviction que l’homme est naturellement bon et ouvert.
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Pour aller plus loin
Hans Silvester un regard aigu mais bienveillant
Une quarantaine de livres rendent compte du travail du photographe, sur toute la planète mais aussi dans sa région d’adoption. Des chevaux de Camargue à la pétanque, en passant par les tsiganes et les épouvantails, jusqu’à l’ouvrage « C’était hier » où il saisit, dans les années 60, paysages, villages et habitants de la Provence, mais aussi les métiers et savoir-faire en train de disparaître, il témoigne inlassablement et donne à voir, comprendre, se révolter ou admirer…
Toujours sur le pont
Jusqu’en octobre, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Jean Giono, la ville de Manosque accueillera près de 200 photos d’Hans Silvester, sur le tournage du film de Jean-Paul Rappeneau « Le hussard sur le toit », adapté en 1995 du roman de l’auteur provençal.
Une autre expo présentera les photos d’épouvantails, qui font l’objet d’un livre à paraître en septembre prochain aux Editions La Martinière. Les photos et les livres de Hans Silvester sont disponibles à la galerie Retour De Voyage, à l’Isle-sur-la-Sorgue (84). La galerie organise de nombreuses expositions dédiées du photographe, mais présente également un fond photographique.