Le label bio, dont l’image vient d’être écornée par l’affaire de l’abattoir du Vigan, risque bientôt de perdre encore de sa substance au Parlement Européen qui étudie les moyens d’assouplir radicalement ses conditions d’attribution.
Que va-t-il rester du bio ? La Commission de l’Agriculture du Parlement Européen planche depuis le mois dernier sur une révision des critères permettant aux agriculteurs d’obtenir la certification pour leurs produits. La réflexion s’oriente vers un net abaissement des contraintes.
La première proposition à faire dresser les poils des défenseurs d’une agriculture véritablement biologique concerne les seuils d’intrants chimiques autorisés. Eu égard aux risques de pollution en provenance des exploitations voisines ou durant le transport, de faibles doses d’engrais ou de pesticides sont d’ores et déjà admises dans les produits bio sans que l’agriculteur encoure la décertification.
Bio à doses chimiques
À l’encontre de la politique promue par la Commission Européenne qui souhaite limiter autant que possible les dérogations, l’axe de travail retenu au parlement propose tout bonnement de supprimer ces seuils. Question immédiate : un produit bio contenant des matières chimiques est-il toujours un produit bio ? Apparemment, le stupéfiant contre-sens posé ici ne semble pas gêner outre mesure les parlementaires chargés du sujet.
Tenant à apaiser les anxiétés mal placées, le communiqué stipule tout de même que « si cela s’avère nécessaire, la Commission Européenne pourrait présenter, après 2020, une proposition législative fixant des seuils maximum pour les substances non autorisées et des compensations pour les agriculteurs en cas de contamination inévitable. »
D’ici à cette très éventuelle remise en question, une production présentant une contamination chimique assez conséquente – et pourquoi pas égale à celle du champ voisin en agriculture conventionnelle – pourrait donc en fait conserver son label à la vente si l’exploitant arrive à faire valoir sa bonne foi.
En contrepartie, il est prévu d’augmenter les dispositifs de contrôle en amont et de responsabiliser davantage les filières de production. Ce qui constitue une remarquable marque de confiance à l’égard des filières agro-industrielles. Une confiance d’ailleurs confirmée par la seconde piste de travail.
Confiance et mixité
Arguant des difficulté pour un exploitant de passer du jour au lendemain d’une pratique conventionnelle à une agriculture biologique, cette autre proposition consiste à soutenir les exploitations mixtes (bio et conventionnel côte à côte). Ce faisant le Parlement, à travers sa Commission à l’Agriculture, s’oppose une nouvelle fois à la Commission Européenne et propose d’enterrer définitivement le projet que celle-ci avait émis en 2014, lorsqu’elle annonçait vouloir mettre fin à l’existence jugée contre-productive de telles structures.
Il faut dire qu’en la matière le cadre est plutôt vague et que la réalité recouvre des situations très éloignées du principe affiché. Car de fait, les temps nécessaires aux reconversions n’étant pas définis, rien n’empêche des exploitations mixtes de fonctionner sur plusieurs décennies en produisant du bio contaminé (du moins jusqu’à ce que l’érosion des contraintes finisse par rendre le système obsolète).
En Europe de l’Est, le concept du presque bio est ainsi décliné sur de très grandes exploitations qui profitent de cet arrangement légal tout en menant une agriculture intensive en tous points conforme aux canons de l’agriculture conventionnelle. Portées par le développement du bio de supermarché, elles sont le reflet d’un modèle bien installé dans le Monde : des fermes immenses ayant remplacé les produits de synthèse par leurs équivalents approuvés en bio et pratiquant une monoculture intensive à l’opposé des concepts de biodiversité et d’agriculture durable.
Loin des premiers idéaux
Fin février, la vidéo de l’association L214 montrant des maltraitances sur les animaux de l’abattoir du Vigan (Gard), établissement spécialisé dans la viande locale et bio, a marqué les esprits. Pour la première fois peut-être, le vernis d’une filière exemplaire, respectueuse de la vie – mais manifestement pas jusqu’à la mort – s’est fissuré aux yeux de l’opinion française. Les mouvements de fond qui la traversent achèveront sans doute le travail.
L’absurdité de la démarche engagée au Parlement – pourtant traditionnellement défenseur du consommateur européen – montre une fois de plus que les politiques agricoles sont affaire de gros sous et de lobbies puissants. Et si, entre l’envisageable opposition de la Commission Européenne et le possible revirement du Parlement en séance plénière (à qui revient la décision finale), l’affaire n’est pas encore pliée, elle atteste de la précarité de la notion même de bio.
Née en 2007 à l’échelle européenne, la certification bio n’avait pas tardé à recevoir un premier coup de canif certifié OGM en 2009. La démocratisation de son marché l’ayant rendu juteux, s’éloignant peu à peu de l’idéal des pionniers, le bio n’échappera pas à la règle et finira par abandonner le trône de la vertu pour constituer une nouvelle norme de l’agriculture conventionnelle. Le défi de l’agro-écologie prendra alors tout son sens.
Quel genre de bio ?
Entre ceux qui ne mangent que DU bio et les défenseurs de LA bio on finirait par s’y perdre un peu.
Disons peut-être que dans le langage commun au consommateur et à celui qui le fournit, lorsqu’il désigne le produit, « bio » est souvent masculin. Ou rien du tout : « c’est bio ».
Mais lorsqu’il est question de pratique, de filière, le terme se décline alors au féminin comme condensé d’ « agriculture biologique ».