Quand, comment, jusqu’où traiter les champs avec les pesticides ? La question fait rage dans le monde agricole mais aussi parmi les riverains… Le prochain arrêté interministériel doit être publié incessamment.
Jusqu’ici, l’arrêté de 2006 était la règle. Il prévoyait notamment de laisser une ZNT (une Zone Non Traitée) de 5 à 100 m aux abords des cours d’eau. Mais voilà que l’arrêté est annulé par le Conseil d’Etat. Et le gouvernement est tenu d’en publier un autre avant la fin de l’année.
Concilier l’inconciliable ?
C’est ici que les choses se compliquent. Trois ministères débattent, l’Agriculture, l’Environnement et la Santé, et leurs positions sont déjà assez éloignées. Ajoutons le syndicat majoritaire, la FNSEA, qui trouve l’ancien arrêté trop contraignant. Mais auss les associations environnementales qui le jugent trop laxiste. Et enfin la Confédération Paysanne qui souhaite sortir des pesticides mais pas sur le dos des paysans… Et on mesure la difficulté de l’exercice ! Selon le Ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll :« pas question de sacrifier les intérêts des agriculteurs, mais pas question non plus d’oublier la santé et l’environnement ». Certes… !
Le diable se cache dans les détails
Le nouvel arrêté prévoirait des ZNT près des fossés, forêts, bosquets, landes et « zones non cultivées adjacentes ». Les 5 m deviendraient 10, 20 ou 50 m et la périphérie des zones d’habitation serait prise en compte… les riverains existeraient donc ! Ce serait une nouveauté réglementaire.
Autre point litigieux, la manière de mesurer les conditions de vent autorisant les traitements. Ou encore le délai pour entrer dans les parcelles après traitement : 24 à 48h, comme prévu aujourd’hui, ou 6 à 8h comme le demande la FNSEA ?
La FNSEA à la pointe du combat
Le syndicat, vent debout contre le projet d’arrêté estime que 4 millions d’hectares seraient impactés en France et 7 milliards d’euros perdus. Pour le Vaucluse, 55 000 ha, soit la moitié des terres cultivées, pourraient disparaître. Bernard Mille, président de l’organisation syndicale du département met en avant les spécificités vauclusiennes. « On est dans une région de culture haute avec beaucoup de vignes et d’arbres. Si on applique l’arrêté en l’état, on n’aura plus les moyens de protéger nos cultures. » Et de souligner les progrès réalisés pour réduire l’utilisation des pesticides, telle « la baisse de 10% des phytosanitaires dans les cours d’eau entre 2008 et 2013. »
La société civile s’invite dans le débat
A l’inverse, les associations de défense de la santé et de l’environnement comme Générations Futures, mettent en avant les études qui, depuis 2006, ont conclu aux dangers des pesticides. Et elles entendent bien saisir l’occasion du nouvel arrêté pour durcir les conditions d’utilisation des produits. Par exemple en instituant les ZNT dès les limites de propriété (le jardin où jouent les enfants par exemple) et non seulement à celles des bâtiments habités. Mais elles déplorent n’avoir pas été consultées et dénoncent des débats opaques entre profession et pouvoirs publics.
Pour la Confédération Paysanne, syndicat minoritaire, si l’abandon des produits dangereux pour la santé et l’environnement est souhaitable, les agriculteurs ne doivent pas en supporter le coût seuls.
Une consultation publique nationale
Le projet d’arrêté doit être finalisé dans les prochains jours et soumis à consultation publique nationale par Internet. Il sera ensuite adressé à la Commission Européenne avant signature en février 2017. Mais le nouveau texte aura bien du mal à satisfaire tout le monde…
Pour aller plus loin
Le point de vue de la Conf’ 84
Ils ont pris le temps du débat et de la réflexion, mais les militants de la Confédération Paysanne sont tombés d’accord sur quelques principes. L’arrêté de 2006 organisait essentiellement des distances de sécurité. Mais il n’était pas vraiment respecté. Alors ce que demande le syndicat, c’est une vraie restriction sur l’utilisation de produits reconnus comme dangereux pour la santé et l’environnement. Car la santé des agriculteurs, des salariés agricoles et de leurs concitoyens passe en priorité.
Interdire certains produits
Il faudrait multiplier les études scientifiques sur les produits afin de définir ceux qu’il faut interdire pour leur dangerosité. C’est pourquoi Nicolas Verzotti, délégué du comité départemental de la Confédération Paysanne regrette que le financement de l’étude proposée par le service onco-hématologie de l’hôpital d’Avignon ait été refusé par le Ministère de l’Agriculture. «Il faut regarder la réalité en face. Les citoyens s’interrogent légitimement sur les pratiques des agriculteurs. Le tout chimique n’est plus possible, il faut faire évoluer nos modes de culture, réfléchir à d’autres méthodes. »
Pour de nouvelles pratiques
Par exemple les extraits fermentés d’ortie, les huiles essentielles. Certains qui se sont lancés ont des résultats très intéressants, sur le plan des cultures comme sur le plan financier, avec une économie sur les intrants chimiques. Mais asseoir la règlementation sur des distances de sécurité pourrait nuire à ces agriculteurs qui utilisent des produits non dangereux. C’est pourquoi le syndicat propose de différencier les produits avec un objectif de sortie au plus vite des plus dangereux.
Le syndicat prône un modèle agricole non polluant, qui ne pose pas de problème de santé publique, et qui valorisera l’agri-tourisme, notamment dans un département comme le Vaucluse. « Nous devons montrer qu’on peut faire évoluer nos pratiques » conclut Nicolas Verzotti.
Mais pour la Confédération paysanne Vaucluse, cela passera par une aide publique, afin de ne pas mettre en péril les surfaces de production. Et notamment par un soutien à la conversion et au maintien en agriculture biologique.