Au cœur de la Provence Verte Sainte Baume, entre Aix, Toulon, Nice et Marseille, les professionnels du tourisme se sont réunis le 8 octobre pour réinterroger leur modèle de développement. Sous le regard plein de sagesse d’Anne Hessel, qui partage sa vision de la nouvelle donne touristique.
Anne Hessel, vous avez co-fondé le pacte Finance-Climat car l’urgence climatique est au cœur de vos préoccupations. En matière de tourisme, quel regard portez-vous sur les enjeux de la filière ?
Avons-nous encore envie d’aller passer 3 jours à Bali, en prenant l’avion à bas coûts ? Est-ce profitable ? La logique de consommation dans la sphère des loisirs est la même que pour d’autres biens et services. On a été trop loin ces dernières décennies. Il faut savoir dire non à certaines pratiques pour revenir à plus de sagesse, de proximité et de rencontres. Le voyage c’est d’abord un moment de partage avec l’Autre. Il faut prendre son temps, sans forcément aller à l’autre bout du monde. Savoir fermer les portes de la consommation pour ouvrir celles de la découverte.
Un « New Green Deal » dans le secteur du tourisme d’accord mais comment enclencher la transition concrètement ?
Dès que les Hommes se rassemblent et coopèrent ils inventent de nouvelles façons de penser et d’agir. L’important est le « faire ensemble ». L’échelle des territoires est pertinente. Les destinations doivent se questionner, faire différemment, en mettant les parties prenantes autour de la table. Et pas seulement les professionnels du tourisme. L’hôte et le visiteur sont les deux facettes d’une même réalité.
Les patrimoines sont les ferments de nouvelles expériences de loisirs. A développer pour une clientèle plus locale. Il faut réinvestir le voisinage, s’inspirer des exemples à deux pas de chez soi, développer les accueils locaux, la relation de proximité avec ses hôtes. Faire du « co-tourisme ». Impliquer la population aussi. C’est formidable de voir ce vivier d’initiatives et cette énergie sur les territoires.
Cercle de partage d’expériences entre pairs sur le territoire Provence Verte Sainte Baume (Var). Crédit AC AUDRA.
L’approche territoriale est donc la clé de voute de la révolution touristique ?
Si c’était si simple ! Le changement climatique est très grave et je crains que nous soyons parfois impuissants. Il faut aller plus loin que des changements d’habitude localement. Il faut un véritable changement culturel profond. C’est long et nous n’avons pas le temps. Mais il ne faut pas se décourager. L’alliance des actions locales et de leviers politiques puissants est indispensable.
En matière de tourisme et de loisirs, c’est le rapport au travail qui est sous-jacent. Quelle place voulons-nous donner au travail dans nos vies ? Travailler pour produire des choses transformables, recyclables oui. Mais si c’est continuer à travailler autant pour produire bien plus que nous n’en avons besoin, à quoi bon ? Comme l’a théorisé André Gorz, père de l’écologie politique et de la décroissance, le travail est souvent le pilier des vies de nos contemporains sans toutefois apporter tout le sens espéré dans une existence. N’est-il pas temps de réinterroger notre relation au travail, pour lui donner une place plus adaptée.
La crise sanitaire aura aussi révélé l’importance du temps « non productif », dans nos vies, nos relations sociales. Il faut dépasser le productivisme et la croissance à tout prix. Redonner du temps aux Autres, aux loisirs, sans être taxé d’oisif ! C’est une question d’équilibre, qui permettra vraiment de lisser la fréquentation touristique dans le temps et l’espace. Pour des voyages apaisés et apaisants.
Centre d’Art Contemporain de Châteauvert (Var) – Entre nature et culture. Crédit AC AUDRA
* Ce séminaire était co-organisé par DéfisMed et ses partenaires locaux (Communauté d’Agglomération Provence Verte, Office de Tourisme Provence Verte Verdon et PNR Sainte Baume) au Centre d’Art Contemporain de Châteauvert. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme LEADER Provence Verte Sainte Baume, qui vise à identifier les potentiels de valorisation des patrimoines naturels et culturels, matériels et immatériels dans le développement touristique du territoire. Ce projet est financé avec le concours de l’Union européenne avec le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural, la Région Sud, le Parc Naturel Régional Sainte Baume et le Syndicat Mixte de la Provence Verte.
PHOTO DE UNE : Anne Hessel au Centre d’Art Contemporain de Châteauvert (Var) le 08 octobre dernier, sur le thème « La Provence Verte Sainte Baume, modèle d’écotourisme ? ». Crédit AC AUDRA
EN SAVOIR PLUS
BIOGRAPHIE d’ANNE HESSEL
Née en 1947 à New York, elle est la fille des intellectuels Stéphane et Vitia Hessel. Docteur en médecine et docteur en chimie, elle est engagée dans plusieurs mouvements citoyens et a co-fondé le Pacte Finance-Climat aux côtés de Pierre Larrouturou (homme politique et député européen) et Jean Jouzel (climatologie et Vice-Président du Groupement International d’Experts pour le Climat).
LE PACTE FINANCE – CLIMAT
Agir Pour le Climat est une association citoyenne et transpartisane, dont l’objectif est de contribuer à l’élaboration de solutions concrètes pour financer la transition écologique et solidaire en Europe. A l’origine de l’idée de Banque européenne du climat, reprise par la Commission Européenne, l’association a la volonté de travailler avec l’ensemble des acteurs de la société civile utiles à ce chantier titanesque. Grâce à sa notoriété, l’association entend peser sur des sujets précis alors que s’élaborent des stratégies de relance post Covid partout en Europe. Elle entend joindre la parole aux actes pour concrétiser au plus vite une Banque et un Fonds Européen Climat et Biodiversité. Pour accélérer l’innovation, aider les entreprises à définir de nouveaux modèles économiques et soutenir des projets pilotes dans l’habitat, le transport, la production d’énergie, l’agriculture ou l’industrie.