L’initiative dynamise la petite vallée de l’Estéron, dans l’arrière-pays niçois. Objectif du projet ? Sauver de la décharge les matériaux de (de)construction qui peuvent être réemployés. Ni jetés, ni recyclés, ils représentent une belle économie d’énergie et de gaz à effet de serre.
« En France, 23% des émissions de Co2 sont liés au bâtiment », précise Caroline Aubry. Ingénieure en construction, elle travaille pour l’association Les Amis de l’Estéron, qui porte le projet Recyclou.
Pour réduire cette part, le réemploi apparaît comme une partie de la solution. Il concerne les matériaux neufs ou pas. A la différence du recyclage qui considère le matériau comme un déchet, le réemploi le transforme aussitôt en ressource. Il permet de réduire la fabrication de matériaux et le traitement des déchets. Résultat : moins de consommation d’énergie, de transports et d’épuisement des ressources.
« Ambassadeurs du réemploi »
« Recyclou est un projet expérimental sur une zone isolée et peu dense comme notre vallée, explique Caroline. Le premier matériau facile à réemployer c’est le bois. Mais il y a aussi les tommettes, les tuiles, la quincaillerie ou encore les sanitaires… ». Et s’il y a moins d’habitants qu’en zone urbaine, ils sont plus bricoleurs, poursuit-elle avec un sourire !
« Nous sommes les ambassadeurs du réemploi, se réjouit Jean-Marc Manivet, le président des Amis de l’Estéron. Nous rencontrons tous les acteurs de la filière de la construction ». Pour le projet Recylou, l’association a obtenu un financement européen Leader. « Nous sommes bien accueillis, on sent que les gens s’y mettent, mais c’est compliqué. Le réemploi n’est pas encore dans les habitudes » poursuit-il.
La loi vise le réemploi
« Il y a un côté créatif et inventif dans le réemploi », constate Caroline Aubry. Ainsi des fenêtres qui ne sont plus aux normes thermiques peuvent être utilisées en intérieur, ou dans des serres agricoles.
Alors la jeune ingénieure met en place des diagnostics avec les artisans pour décider de ce que l’association pourra venir chercher sur les fins de chantiers avant que les professionnels n’apportent pas tout à la décharge. Un camion-benne siglé « Recyclou » se balade déjà dans la vallée une à deux fois par semaine.
La démarche va d’ailleurs dans le sens de la loi AGEC du 10 février 2020. Celle-ci prévoit le réemploi de 5% des matériaux de construction en 2028. Et dès l’an prochain, les professionnels –qui paient déjà une écotaxe de 300 à 600€ la tonne- pourront gratuitement apporter dans 7 « flux » différents leurs matériaux. Papier, bois, métal, verre, fractions minérales… Contrepartie : tout devra bien sûr avoir été trié auparavant.
Grandes braderies
Auprès des fournisseurs, Recyclou récupère aussi des matériaux neufs. Et après ? L’objectif n’étant pas d’entasser mais bien de réemployer, Les Amis de l’Estéron vont organiser trois ou quatre grandes braderies par an. Et ils comptent bien que les stocks accumulés –vendus à 80% du prix du neuf- disparaîtront rapidement !
Autre initiative portée par l’association, la réhabilitation en cours d’un chalet qui deviendra un bâtiment-vitrine et accueillera un espace de coworking. L’équipe vise 85% des aménagements en matériaux de réemploi.
Objectif du projet Recyclou (le mal nommé, puisqu’il s’agit bien de réemploi et pas de recyclage !) : récupérer 300 tonnes de matériaux d’ici la fin de l’année. Mais surtout que la démarche entre dans les habitudes, que le remploi devienne un réflexe, avant la déchèterie.
Les Amis de l’Estéron
Recyclou n’est pas le seul projet que porte l’association. Installée dans un ancien camping, les Fines Roches, sur la commune de Roquestéron, elle se veut un tiers-lieu voué à la transformation de la vallée. Un lieu pour « faire ensemble ». Maraîchage, vergers pour bien se nourrir, repair-café pour prendre soin des objets, ateliers bien-être…
Les propositions sont nombreuses dans cette vallée préservée qui jouit d’une des dernières rivières naturelles. « Il y a ici une belle énergie citoyenne, précise Jean-Marc Manivet, le président de l’association. On a envie de réinventer tout mais en restant dans l’esprit sauvage de la vallée, en protégeant la biodiversité ».
L’été, le camping accueille des vacanciers et un centre aéré. Au fil de l’année, avec les bals et soirées, les Amis de l’Estéron voient défiler un millier de personnes, quand l’association en compte une grosse vingtaine dont une dizaine très actifs. En septembre, les Fines Roches accueilleront le Tour Alternatiba, dans ce tiers-lieu «où les énergies se retrouvent ».