Souveraineté alimentaire ou énergétique ? Le monde agricole est violemment percuté par une demande croissante de foncier pour produire des kilowatts. Entre le « oui tout de suite » et le « non pas question », la chambre d’agriculture du Vaucluse cherche sa voie. Elle accompagne, mais avec vigilance.
Des abricotiers à Cavaillon, des cerisiers à Carpentras, des vignes à Piolenc poussent à l’ombre de panneaux photovoltaïques… Mais aussi du maraîchage sous serre verre à Uchaux et ailleurs. Au total, on trouve une bonne douzaine d’installations agrivoltaïques dans le département. Et dans les tuyaux, une dizaine d’autres projets. Sur le terrain, les développeurs sont de plus en plus nombreux, la filière gagne en puissance et en rentabilité.
Abri contre le vent et la chaleur
Mais quel intérêt pour les agriculteurs ? « Une source de revenus complémentaires, détaille Jean-François Cartoux, membre du bureau de la Chambre d’agriculture 84 et référent Agrivoltaïsme. L’installateur peut verser un loyer, ou financer des équipements, ou encore proposer une part sur la revente de l’électricité ».
Et un intérêt agronomique, notamment face au changement climatique. « Apporter de l’ombre aux plantes ou aux bêtes, c’est positif. Et un confort pour la production » poursuit le responsable agricole. Ainsi sur le site expérimental de la Chambre à Piolenc, les chercheurs ont noté que la vigne est plus jolie, les raisins moins brûlés et le besoin en eau moindre.
Côté maraîchage, les serres équipées offrent abri contre le vent et la chaleur et opportunité d’une meilleure lutte biologique. Sur les arbres fruitiers, les panneaux aident au palissage et permettent d’accrocher les filets, de plus en plus présents contre les ravageurs.
« Il reste encore beaucoup d’inconnues »
Pour autant, l’agrivoltaïsme n’est pas la panacée. Démarchés par les opérateurs, les agriculteurs se trouvent souvent bien démunis. Complexité des dossiers, opacité juridique, risque de projets-alibis et surtout manque de retour sur les expérimentations en cours : autant d’ombres sous les panneaux qui inquiètent le monde agricole.
Alors dans le Vaucluse, le choix a été fait d’accompagner mais dans la vigilance. Car le décret tout neuf qui vient préciser les contours de l’agrivoltaïsme n’a pas levé toutes les interrogations, loin de là. « Le décret manque de précisions, on est en train de le décrypter, mais il reste encore beaucoup d’inconnues », constate Jean-François Cartoux. Pour la vigne en tout cas, l’INAO n’a pas validé la pratique qui ne peut donc pas concerner les vins en AOP et en IGP.
Mutualiser les connaissances
Alors la Chambre a mis en place un service dédié, apte à aider les agriculteurs dans les filières maraîchage, vigne, arboriculture et élevage. Une formation est organisée et des informations sur le montage juridique des dossiers proposée. « Il ne faut pas qu’ils soient lésés, attention aux assurances, par exemple ! On découvre les problèmes au fur et à mesure ».
Mais sur l’avenir de la production agricole –question fondamentale- difficile d’y voir clair. Les expérimentations nécessitent du temps, et celui de l’agriculture n’est pas celui de l’énergie ! A Piolenc on a constaté au bout de plusieurs années seulement une réduction du nombre de grappes. A Carpentras, que la floraison des cerisiers était moindre avec moins de soleil.
« On essaie de mutualiser nos connaissances, par exemple la Chambre d’agriculture de la Gironde va synthétiser toutes les démarches et les résultats ». Mais les installateurs sont pressés, déplore Jean-Louis Cartoux. La Chambre demande des suivis par des organismes indépendants, comme le décret le prévoit.
Marcher sur deux pieds
Dans les têtes, la crainte que la production agricole ne soit sacrifiée. Qu’en sera-t-il du maraîchage ou des prairies avec des panneaux à 2 mètres du sol ? Le risque de perte de rendement est réel. « Il faut réfléchir à une production agrivoltaïque vertueuse, propose le responsable agricole. Elle ne doit pas porter préjudice à la production ». En résumé : réaliser une bonne analyse de chaque projet, et mettre en place suffisamment de garde-fous. Afin de trouver un bon compromis entre la production agricole et le développement des énergies renouvelables.
C’est quoi une installation agrivoltaïque ?
La Ch 84 a adopté la définition de l’ADEME: une installation est dite agrivoltaïque si elle présente l’un des 4 critères :
-amélioration du potentiel et de l’impact agronomique
-adaptation au changement climatique
-protection contre les aléas
-amélioration du bien-être animal
La loi prévoit aussi que l’agriculture doit rester l’activité principale [mais sur quels critères d’appréciation ?] et l’énergie doit apporter un plus.
Enfin si l’Agrivoltaïsme est défini et encadré, ce n’est pas le cas du Photovoltaïsme.
Qui décide ?
Les projets passent devant la CDPENAF (commission départementale de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers). Pilotée par la DDT (Direction départementale des Territoires), elle comprend une vingtaine de structures dont la SAFER, la Chambre d’agriculture, les syndicats agricoles et forestiers, la FNE (fédération nationale de l’environnement). Elle s’assure de la protection des forêts et des espaces naturels. Désormais, elle donne, sur toutes les demandes, un « avis conforme » (auquel les maires ne peuvent déroger), qu’il soit positif ou négatif.
Les centrales photovoltaïques au sol
Elles n’entrent pas dans le champ de l’agrivoltaïsme mais concernent néanmoins des zones agricoles, dites « non cultivables ». C’est-à-dire des terrains incultes, non-exploités depuis dix ans ou plus, ainsi que des parcelles réputées propices à l’accueil de tels projets (friches industrielles, anciennes carrières, plan d’eau, etc.).
Les opérateurs pourront y installer des panneaux au sol. Ce sont les chambres d’agriculture qui doivent recenser ces parcelles et les consigner dans un « document cadre ». Ces zones seront perdues pour l’agriculture.