loup et pastoralisme

Le regain d’intérêt du grand public pour les animaux sauvages s’oppose aux réalités d’une cohabitation complexe avec le monde agricole. Etat des lieux des relations entre les éleveurs et producteurs et deux espèces bien connues : le loup et le sanglier.

Alors que la protection et la régulation des espèces sauvages sont devenues des enjeux sociétaux et politiques, les agriculteurs et les éleveurs, eux, sont bien forcés de constater les dégâts. En 2020, 685 dossiers de prédations de loups ont été indemnisées dans la région Sud Paca, parmi 1 107 au niveau national. En 2016, c’était 1 859 dossiers indemnisés dans la région, 2 738 dans le pays. Comment expliquer ces évolutions qui continuent d’inquiéter le monde agricole ?

Loups et pastoralisme

Pour mémoire, le retour de l’espèce en France a été officialisé en 1992, avec l’observation d’un premier couple de loups dans le Mercantour venu du Piémont italien. 30 ans plus tard, la population dans l’Hexagone est estimée par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) à plus de 600 individus. Sa présence s’est peu à peu diffusée. On observe aujourd’hui des loups en Normandie, dans les Pyrénées, et même dans le Parc national des Calanques, depuis l’année dernière. C’est dans les massifs alpins et provençaux que l’espèce est la plus présente.

carte évolution de la population du loup

Cliquez sur la carte pour voir l’évolution de la population du loup de 2016 à 2019 en France

Si notre région est un des territoires recensant le plus de meutes, rien de plus logique à ce qu’elle concentre aussi le plus grand nombre de dégâts. Chaque année depuis 2015, ceux-ci représentent plus de 50% du nombre de constats indemnisés.

Pourtant loups et pastoralisme ont cohabité longtemps avant la disparition de l’espèce en France dans les années 30. Pourquoi ne savons-nous plus vivre avec eux ?

Auparavant, les éleveurs pouvaient tirer sur les loups pour défendre les troupeaux. Or la protection de l’espèce, d’abord par la Convention de Berne (1979) en Europe puis par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 en France rend toute destruction de loup passible d’une amende de 150 000 € et 3 ans d’emprisonnement.

De plus, « la disparition du loup avait modifié les pratiques : les moutons pouvaient monter à l’alpage avec moins de gardiennage », explique Guillaume Lebaudy, ethnologue spécialisé en pastoralisme. « Pourtant, depuis le retour du loup, les éleveurs se sont déjà adaptés et ont fait beaucoup d’efforts »

En effet, le plan national d’actions sur le loup prévoit des aides financières pour la mise en place de mesures de prévention : gardiennage, parcs de nuit, chiens de protection. Les éleveurs ont également droit à des indemnisations pour leurs pertes. Chaque année, plus de 6 000 victimes sont enregistrées comme indemnisables dans la région (plus de 11 000 au niveau national).

A cela s’ajoute une dérogation à l’interdiction de destruction des loups. En cas d’attaques récurrentes et importantes, des tirs de prélèvement peuvent être accordés par arrêté préfectoral. Un plafond est fixé chaque année proportionnellement à la population de l’espèce. En 2022, il est de 118 en France.

Pour les éleveurs cependant, ces mesures ne sont pas toujours suffisantes et le préjudice est autant moral qu’économique (voir ci-dessous l’interview avec Guillaume Lebaudy).

Constat attaque loup

Constat en cours d’une attaque de loup. Les éleveurs ont la peur au ventre de découvrir ainsi leur animaux au petit matin. Crédits : P. Massit

Sangliers, agriculture et chasse

Les cultivateurs (céréales, légumes…) connaissent aussi des difficultés de cohabitation avec le sanglier.

Selon la Fédération nationale de chasse, environ 800 000 sangliers ont été tués en France en 2020, contre 30 000 il y a 50 ans. Depuis la saison 2018-2019, ce nombre croit régulièrement (voir infographie à la fin de l’article).

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les dégâts touchent surtout les céréales et les prairies. « Lorsque les prairies sont touchées, c’est compliqué de les remettre en état car les pentes sur notre territoire sont peu mécanisables. Même si on y arrive, il faut du temps pour qu’elles soient à nouveau productives. » témoigne Jean-Luc Ferrand, agriculteur élu à la Chambre d’Agriculture du 04, en charge des dossiers « dégâts de gibier ».

Pour Damien Isnard, chargé de mission chasse à la Direction Départementale des Territoires du 04, « c’est souvent en mars qu’il y a le plus de dégâts. Or c’est la période des semis, la plus importante pour les agriculteurs ».

dégâts sur prairie

Dégâts de sangliers sur prairie dans le Vaucluse. Crédits : Dominique GEIST

Face à cette menace, les exploitants peuvent installer des clôtures, financées à 50% par les Fédérations de chasse. C’est plus facile pour le maraichage que pour les grandes cultures, surtout en terrain montagneux. Côté régulation, les chasseurs sont aux premières loges. « Mais il n’y a pas de plan de chasse pour le sanglier. Selon la tendance d’évolution de la population, on choisit si on ouvre plus ou moins longtemps sa période de chasse » explique la Fédération de chasse du 04. Le reste de l’année, un lieutenant de louveterie peut préconiser une battue administrative ou un tir suite à des dégâts sur une exploitation.

Pour toute destruction de cultures, les agriculteurs sont indemnisés à hauteur des récoltes qui ne pourront être vendues. Et ce sont les Fédérations de chasse qui paient.

sangliers dans la nuit

Sangliers dans la nuit, proche des zones agricoles dans les Bouches-du-Rhône. Crédits : M. Gabrié

Côté agriculteurs, l’objectif est d’avoir le moins d’impacts possibles. « Quand ce ne sont pas de gros dégâts, on comprend, c’est la faune sauvage. Mais quand les dégâts sont vraiment importants, là c’est compliqué », raconte Jean-Luc Ferrand. « Pour réduire les destructions, il faut surtout que l’agrainage* cesse. Il est interdit mais de nombreux chasseurs le font encore. Je sais de quoi je parle, je suis moi-même chasseur. Le problème avec l’agrainage, c’est qu’il rend l’espèce moins sauvage, elle vient plus facilement près des hommes. Le sanglier sauvage, lui, reste plus facilement loin des exploitations. Il faut réapprendre à chasser le sanglier sauvage ».

Il finit toutefois par une note positive : « les relations entre chasseurs et agriculteurs se sont fortement améliorées depuis 10 ans. Les uns comme les autres ont compris qu’il fallait s’entendre ».

L’efficacité de ces mesures est régulièrement controversée. La question demeure : vivre ensemble oui, mais comment ? Eradiquer les espèces sauvages ? Non. Enfermer troupeaux et cultures ? Ce n’est pas envisageable. Aucune solution miracle n’a encore été trouvée. Aujourd’hui, pour le loup comme pour le sanglier, seuls les tirs permettent de relâcher la pression de temps en temps. Il serait bon de trouver un panel de solutions nuancées.

* L’agrainage est une pratique cynégétique consistant à nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement

Prélèvements des sangliers en Paca

 

Regard sur la cohabitation éleveurs / loups :

Guillaume Lebaudy, ethnologue spécialisé en pastoralisme en région Sud-Paca

Comment se sentent les éleveurs face aux loups ?

Les éleveurs se sentent doublement démunis. Ils sont désarmés face à une règlementation qui est en leur défaveur, car ils ne peuvent s’en défendre que de manière épisodique, et ils sont désarmés psychologiquement et philosophiquement. Le pire, ou plutôt le mieux, c’est qu’ils ont de l’admiration pour les loups. Ce sont des animaliers dans l’âme.

Sont-ils contre le loup ?

La question n’est pas si on est pour ou contre. Depuis les Lumières, nous avons généré une dichotomie entre nature et culture, alors que les pastoraux n’ont jamais pensé comme ça. Le retour des loups est venu remettre des frontières là où il n’y en a pas. Ce sont des frontières politiques qui stigmatisent selon le camp dans lequel on se situe : pour le sauvage ou pour les agropasteurs. Or la question n’est pas là.

Les éleveurs ont toujours eu dans leur intérêt le soin de la terre puisque c’est leur outil de travail. C’est leur faire un mauvais procès que de les classer du côté des ennemis de l’environnement parce qu’ils crient au loup. En fait ils crient au loup parce qu’ils ont mal partout.

Qu’attendent les éleveurs ?

Ils attendent davantage de compréhension et de reconnaissance de leur métier, qu’on les regarde pour ce qu’ils ont apporté et continuent d’apporter et qu’on les considère comme partenaires à part entière.

Les éleveurs pourraient-ils accepter les loups ? Vivre avec eux tout en connaissant les risques ?

Le problème des éleveurs et des bergers est qu’ils ne connaissent pas bien le comportement des loups. Ils sont soumis à des rythmes très intenses : ils sont pris dans la logique de l’industrie agricole. Ils ne s’en sortent jamais et sont sans cesse sous pression. Ils n’ont ni le temps ni le loisir ni la patience de mieux connaitre l’espèce loup. Mais quand ils arrivent à se calmer et à avoir du temps, ils passent des heures à l’observer.

La solution serait donc d’apprendre à cohabiter ?

La cohabitation pour moi, c’est une colocation : chacun a sa chambre et un espace partagé. On ne cohabite pas, on vit ensemble. Pour avancer, il vaut peut-être mieux penser à se coadapter. A l’INRAE, un groupe mène des recherches sur cette coadaptation : je conseille d’aller voir leur travail. *

*COADAPHT – Réseau de chercheurs sur les processus de coadaptation entre prédateurs et humains dans leurs territoires. Il étudie les divers processus d’adaptation des humains et plus particulièrement de leurs activités d’élevage face aux prédateurs (loups, ours, lynx, etc.), mais aussi ceux des prédateurs face aux humains et à leurs activités (élevage, chasse, tourisme, foresterie, etc.)