Cet Institut de recherche installé en pleine Camargue, spécialiste des zones humides, rayonne sur toute la Méditerranée. Ses travaux participent à la conservation et à la gestion du territoire. Rencontre avec son directeur, un homme passionné et passionnant.
30 ans qu’il vit et respire Camargue, tous les jours émerveillé par ce territoire d’eau, de sel et d’oiseaux, ce delta du Rhône vivant, si précieux mais si fragile … « J’ai grandi dans les Alpes mais je suis très attaché à la Camargue. Enfant, je la fantasmais déjà, j’étais attiré sans la connaître. Et j’ai découvert une terre extraordinaire » confie Jean Jalbert qui avoue une passion depuis l’enfance pour la nature en général et les oiseaux en particulier.
« La Camargue ne laisse personne indifférent, ajoute-t-il. Soit on l’aime, soit on ne peut pas y vivre. Sa platitude, qui peut paraître monotone fait son charme. Elle n’est jamais la même, selon la lumière, les paysages, les oiseaux… »
Riches zones humides
Alors Jean Jalbert apprécie son métier et chaque journée qui commence. Mais son bonheur n’est pas béatitude. L’amoureux de la nature a découvert très jeune les menaces que les activités humaines font peser sur l’environnement. Cela dès 1970, grâce à la lecture d’un ouvrage, « Avant que nature meure » écrit par un biologiste de renom, Jean Dorst. « Un électrochoc, une prise de conscience, un engagement à agir », raconte-t-il.
Et son engagement le conduit dans les zones humides, ces usines à produire de la vie. « Les deltas sont les écosystèmes les plus productifs au monde, ils fabriquent trois fois plus de matières vivantes que les forêts équatoriales, explique Jean Jalbert. La rencontre de la terre, de l’eau douce et salée, de la chaleur crée une grande biodiversité. C’est dans ces milieux que les hommes se sont d’abord sédentarisés ».
Mais zones malmenées
Mais les zones humides ont aussi leur caractère. Milieux instables, elles peuvent s’inonder violemment, grouillent de moustiques et de bactéries… Pour les humains, c’est attraction/répulsion. Qu’à cela ne tienne, l’humanité va chercher à profiter des avantages et à s’affranchir des contraintes de ces territoires.
Endiguement, plans d’assèchement, mise en culture, développement de l’habitat… Partout les deltas sont contraints à l’immobilité, alors qu’ils sont dynamiques par essence. L’Ebre en Espagne, le Nil, le Po en Italie…
Camargue première de la classe
Et la Camargue alors ? « C’est le delta le mieux préservé de Méditerranée. On a fait mieux que sauver les meubles, on a su préserver une zone riche et diversifiée » se réjouit le directeur général de la Tour du Valat, qui évoque des décennies de conflit entre les « aménageurs » et les « défenseurs régionalistes et culturels ». Une bonne nouvelle pour la biodiversité ! Avec ses 150 000 ha entre les deux bras du Rhône, la Camargue est le deuxième plus grand delta de Méditerranée derrière le Nil et la plus grande zone humide de France.
Des seuils sont franchis
Alors tout est bien qui finit bien ? Hélas, non. Changement climatique et fonte des glaces menacent ce territoire qui culmine à 1 mètre d’altitude, pour les ¾ de sa surface. Il suffit de lire la dernière étude du GIEC qui prédit la hausse de plus d’un mètre de la Méditerranée à la fin du siècle pour comprendre le problème.
Le phénomène est lancé et s’accélère : près de 5 mm par an depuis les années 2010, contre 2 mm par an au cours du 20e siècle.
Ajouté à ce danger venu de la mer, le changement d’amplitude du Rhône qui augmente de son côté, avec un régime de pluie très inégal, tantôt trop, tantôt pas assez. Endiguée sur ses trois côtés, la Camargue ne reçoit plus les limons du fleuve qui ne l’inonde plus. Conséquence, elle s’enfonce de près d’1 mm par an
Agir tout de suite
Que faire alors ? Pour Jean Jalbert, une page se tourne, celle de la conquête et de la maîtrise. Une autre page doit s’écrire, celle de « l’adaptation et de la résilience ». Autrement dit, trouver des solutions fondées sur la nature elle-même, l’accompagner, l’aider un peu…
Par exemple, élargir les digues, laisser passer l’eau du fleuve en cas de forte inondation, là où cela ne met pas l’habitat ou l’activité économique en péril. Des opérations intéressantes mais encore trop restreintes. Ou encore faire pénétrer l’eau de mer sur d’anciens salins, « une manière de créer un amortisseur climatique, par la création de dunes de sable protectrices », constate le scientifique. L’idée est de concilier autant que possible l’espace naturel et l’activité humaine.
Concilier nature et activités humaines
Et puis il faut voir à long terme. On n’échappera pas aux conséquences du changement climatique et de nombreuses villes situées en bord de mer devront déménager. En Aquitaine, un plan régional réfléchit à ces questions de délocalisation des stations balnéaires condamnées. En concertation avec les scientifiques, les acteurs économiques et les élus, constats et solutions sont partagés. Ce n’est pas encore le cas en Provence.
« Il manque une réelle prise de conscience collective, un lieu où poser ces constats et élaborer ces solutions. Notre région n’a pas de stratégie contre l’érosion côtière, à la différence d’autres régions » regrette Jean Jalbert. Alors quel avenir pour les Saintes-Maries de la Mer ? Le Mont St Michel ? Mais à quel prix ? Ou la délocalisation ?
Un chantier passionnant
Mais si l’avenir parait sombre, aucun découragement chez le responsable de l’Institut de recherche. Au contraire ! « Il va falloir s’adapter, trouver de nouvelles approches, habiter autrement, inventer de nouveaux modèles. Certes il faudra renoncer à certaines choses, mais on doit continuer à vivre et bien vivre en Camargue, et y produire. C’est un extraordinaire chantier et ce delta est un lieu unique avec tout cet espace pour inventer une terre résiliente ! » se réjouit-il.
Pour l’ exemple
Le modèle agricole par exemple doit trouver un second souffle. Dans le sud du territoire, on pompe de l’eau salée dès le mois de mai ! L’agriculture doit être branchée sur la biodiversité, connectée à son territoire, mieux adaptée au sel et à la sécheresse.
La Tour du Valat expérimente d’ailleurs une parcelle de 100 ha dont 25 en culture dans la Camargue gardoise. Chevaux et bovins, petit élevage, cultures, fruitiers et vigne côtoient les espaces naturels, pinèdes et marais avec leur richesse biologique. Le domaine du Petit Saint Jean est un projet agroécologique sans chimie, expérimental, à l’image peut-être de la Camargue de demain.
Pour aller plus loin
La Tour du Valat
L’Institut de recherche a été fondé en 1954 par Luc Hoffmann, naturaliste visionnaire et passionné d’ornithologie. Il est dédié à la conservation des zones humides méditerranéennes. Institut privé, il développe son activité de recherche avec le souci constant de mieux comprendre pour mieux gérer. L’ambition est de mener de pair activités humaines et protection du patrimoine naturel.
Quatre-vingt salariés y travaillent et la Tour du Valat accueille chaque année de nombreux chercheurs, enseignants et stagiaires venus de tout le bassin méditerranéen.
A l’International
L’Institut de recherche est dédié à la conservation des zones humides méditerranéennes. Depuis 10 ans, il a mis sur pied avec 27 états un observatoire des zones humides. Les scientifiques ont élaboré des indicateurs pour juger de leur état, définir les pressions qu’elles subissent et les solutions à mettre en place. Cette plate-forme réunit les politiques et les scientifiques.
L’Institut a également mis en place l’Alliance Méditerranéenne pour les zones humides. Cette structure réunit scientifiques et la société civile, notamment les ONG du Bassin méditerranéen. Elle analyse de façon critique les projets d’aménagement. Ceux qui apparaissent dangereux sont dénoncés auprès des pouvoirs publics, et des contre-projets sont proposés.
Il y a 55 ans, on savait déjà …
« Avant que nature meure » a paru en 1965. Son auteur Jean Dorst, (1924-2001) est ornithologue, biologiste et naturaliste. Professeur de zoologie puis directeur du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, il présida également l’Union Internationale de Conservation de la Nature.
Le scientifique dénonçait dans son ouvrage les erreurs commises par les humains et leurs conséquences : érosion des sols, déforestation, destruction des habitats terrestres et aquatiques… Il prônait une gestion naturelle des ressources de la planète.