C’est un projet d’aménagement contesté : les « pour » parlent croissance économique, progrès et création d’emplois, les « contre » maintien de terres agricoles fertiles et gestion douce des crues de la rivière. Décryptage.
Les conditions sont précaires, mais ils ont du cœur à l’ouvrage et le travail ne leur fait pas peur. Pierre-Baptiste, Barbara, Charlie et les autres piochent, sarclent, nettoient, débarrassent la ferme de la Voguette à Cheval-Blanc, tout près de Cavaillon. Ils l’occupent depuis avril 2015 « sans droits ni titres mais pacifiquement » après des années d’abandon voire de squats divers.
Résultat : le bâtiment est habitable, avec panneaux solaires et toilettes sèches, et les terres retournent peu à peu à la culture avec l’aide de paysans voisins et de la Confédération Paysanne : un demi hectare dans un premier temps : fèves, salades, radis, avoine, poireaux… Si certains trouvent ici un toit qu’ils n’avaient pas, la plupart ont décidé de devenir paysan : Pierre-Baptiste va suivre une formation auprès de l’ADEAR. Leur crédo : sauver ces terres fertiles du bétonnage.
Un peu d’histoire
Tout commence avec le projet du groupe Immochan d’installer une zone commerciale aux abords de la Durance sur une centaine d’hectares agricoles en zone inondable. Le groupe achète des terrains, des fermes et des haies détruites ; mais le Collectif associatif «Voguette » s’oppose au projet qui est retoqué par le Préfet.Les élus de la communauté de communes LMV (Luberon Monts de Vaucluse*) changent alors leur fusil d’épaules : ils construiront une digue de 3 km de Cheval-Blanc à Cavaillon. Derrière elle, l’aménagement sera possible. Coût estimé : 6.5 M d’€. Le chantier doit débuter en avril. Selon Jean-Claude Bouchet, maire de Cavaillon : «…C’est l’assurance de pouvoir commercialiser et mettre à disposition des entreprises près de 100 hectares de foncier sur les terres Sud de Cavaillon.» (Vaucluse Matin 22/01/2016)
Un propriétaire en colère
Ce jour de janvier, à la Voguette, les jeunes « zadistes » (occupants de la Zone A Défendre) ne sont pas seuls. Régis Signoret, l’un des copropriétaires de la ferme occupée est venu comme très souvent, manifester son amertume et sa colère. « Je veux récupérer ma terre et ma maison » dit-il, « mes grands-parents l’ont occupée depuis les années 1920, ma mère y a vécu jusqu’à sa mort ». Pour l’exploiter à nouveau ? Ou bien la vendre au plus offrant ? Le bien serait estimé à 80 000€ mais on parle d’une offre à 2 millions… En tout cas, il ne vendra ni ne louera au collectif, qui en a pourtant fait la demande…
Le village agro-écologique des terres promises
Contre le béton, contre une nouvelle zone commerciale dans le Vaucluse, (où la densité commerciale est le double de la moyenne nationale), le Collectif «Voguette» a un projet alternatif, qui selon lui sécuriserait les bords de la Durance : une zone de maraîchage sur 85 hectares qui donnerait du travail à une quarantaine d’agriculteurs, et un jardin collectif ouvert au public.
Le lieu serait aussi centre de formation, de vie culturelle, accueillerait des jeunes en service civique paysan. « On défend une vision de la vie plus humaine », souligne Thomas Viens, porte-parole du collectif. « Le système actuel n’est plus viable, on a les moyens de changer, mais nos représentants ne nous écoutent pas. »
Le collectif en appelle aux citoyens. Pour sauver les terres agricoles qui peuvent encore l’être, créer des emplois locaux, retrouver une alimentation de proximité plus saine. Un recours contre le projet de digue a été déposé, non suspensif. Le long de la Durance, deux visions du monde de demain n’ont pas fini de s’affronter.
*Sollicitée durant plusieurs semaines par mail et par téléphone, la communauté de Communes LMV n’a à ce jour par répondu à nos questions.
Vivre entre la digue et la rivière
Ils n’en dorment plus et ne pensent plus qu’à ça, Marie et Angel Cabrera : la digue des Iscles de Milan sera construite à une centaine de mètres de leur maison, mais les laissera… du côté de la Durance. « On m’a dit que nous ne risquions rien » explique Angel, mais alors pourquoi cette digue ? La terre de ce couple d’agriculteurs installé à Cheval-Blanc depuis 1985 sur 3 ha est classée en zone inondable depuis 2004. « La digue s’élèvera sur 8 mètres au bout et aura un effet entonnoir » poursuit Angel Cabrera qui craint d’être inondé, ce qui ne s’est jamais produit jusqu’ici. Pas rassuré, le couple a demandé sans résultat une expropriation, leur maison ayant perdu toute valeur : « Personne n’achètera une maison entre rivière et digue » ! A la retraite depuis 7 ans, Angel exploite en complément un hectare de terre. Il a déposé un recours contre la digue, avec sa voisine, dans la même situation.
Les procédures en cours :
Le 28 décembre 2015, Me Fagepallet, l’avocate du collectif « Voguette » a déposé un recours au nom de la Confédération Paysanne et de l’Association l’Etang Nouveau, toutes deux membres du collectif, contre l’arrêté préfectoral du 18 mai 2015 qui déclare d’intérêt général le projet de construction de la digue des Iscles de Milan entre Cheval-Blanc et Cavaillon. Selon ce recours, l’enquête publique n’a pas répondu sur les risques et dangers de la digue, ni tenu compte de la politique de gestion de l’eau du département, notamment du SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l’Eau…) qui ne prévoit pas l’édification de digues. Le recours estime par ailleurs que le projet n’est en aucun cas d’intérêt général mais représente des intérêts particuliers commerciaux.
La balle est maintenant dans le camp de la communauté de communes LMV qui doit déposer un mémoire en retour, mais aucun délai n’est prévu.
Si les travaux commencent, le collectif déposera un recours en référé, suspensif celui-là. Il devra prouver qu’il y a urgence et que le recours peut aboutir sur le fond de l’affaire.
Faut-il encore construire des digues ?
Certainement pas pour l’Etang Nouveau qui a attaqué l’arrêté préfectoral autorisant la construction de la digue des Iscles du Milan entre Cheval-Blanc et Cavaillon.
Selon l’association, la Durance voit aujourd’hui 90% de son cours détourné et pour 1 km naturel, elle est endiguée sur 3 km. Résultat : plus d’activités halieutiques ou nautiques.
Pourtant, la Durance est toujours dangereuse. En 1994, la digue a cédé et un quartier de Mallemort a été inondé jusqu’aux toitures. Les inondations meurtrières d’octobre dernier dans les Alpes Maritimes ont encore une fois montré les dangers de l’urbanisation excessive et du bétonnage systématique.
Toujours d’après l’Etang Nouveau, « la digue va coûter beaucoup d’argent public et en accélérant le cours de la Durance, elle sera un danger pour Orgon, Barbentane, la Camargue et Avignon en aval, avec un Rhône en crue qui retiendra l’eau. Si elle cède, Cavaillon sera touché »
L’association préconise plutôt de laisser l’eau s’étaler, de conserver des zones agricoles capables d’absorber l’excédent d’eau ; l’association s’appuie sur l’Agence de l’Eau qui appelle à une autre gestion de la rivière.