C’est la question posée à Apt (84), ce samedi 3 février, à la Faites sans OGM. Ou plutôt un souhait exprimé par plusieurs intervenants. « Blés paysans, sélections locales, les alternatives au blé OGM ». Tel était le thème de la 1ère des 4 manifestations prévues en février.
A la manœuvre, l’association avignonnaise Foll’Avoine, qui lutte contre les OGM et les brevets sur le vivant. Pour la 10ème édition de la Faites sans OGM, quatre journées sont prévues dans quatre lieux du Vaucluse. A chaque étape, un thème et des partenaires spécifiques.
A Apt, c’est l’AM’APT (l’AMAP d’Apt) qui reçoit. Forte de 11 années d’existence, et de ces 63 adhérent-e-s. Thème et lieu ne sont évidemment pas choisis au hasard. Depuis plusieurs années est conduit dans le Parc du Luberon un programme d’essais participatifs de variétés paysannes de blés.
Les semences paysannes s’adaptent mieux
« On a récupéré des semences un peu partout, mais beaucoup ont disparu », explique Nathalie Charles, chargée de mission Agriculture auprès du Parc du Luberon. Une plate-forme d’essais a été mise en place à Mane (04). Des semences locales ont été collectées chez des producteurs locaux et auprès du Conservatoire Salagon. Puis elles ont été cultivées chez des producteurs, dans le territoire du Parc, mais aussi en Haute Provence. La demande est venue de producteurs, désireux de relancer des variétés paysannes qui s’adaptaient bien.
Aujourd’hui, les premiers résultats sont là. « Ces variétés semblent être davantage en adéquation avec la nature des sols et climats du Luberon et présenteraient des avantages nutritionnels, » constate Nathalie Charles. Soit un grain plus riche en protéines. Certes les rendements sont inférieurs à ceux des semences dites « modernes », (certains préfèrent les qualifier d’industrielles »). Ces dernières sont très sensibles à la sècheresse, alors que les semences paysannes le sont beaucoup moins. De quoi relativiser l’argument rendement, surtout à l’heure du réchauffement climatique !
Petit épi deviendra pain
Les essais portent aussi sur la panification. On ne cherche pas seulement un blé qui pousse bien, mais aussi un blé qui donnera du bon pain. Bon au goût, mais également bon pour la santé. Les études sont en cours. Mais les premiers tests dégustation montrent que les interactions sol-plante-climat pourraient présager « un terroir panicole », comme on parle de terroirs pour le vin.
Demain, « le pain du Luberon » ?
On n’en est pas encore là, mais l’idée du programme du Parc est bien de mettre en place « une filière panicole ». D’autant que les boulangers et les meuniers sont demandeurs, tout autant que nombre de jeunes paysans qui souhaitent promouvoir le goût et la santé.
Le Parc développe ainsi son projet avec un volet agronomique, pour produire des semences paysannes adaptées au territoire. Puis un volet technologique, avec les moulins, et un travail sur les différentes moutures de farine. Enfin un volet économique en intégrant la boulangerie.
D’ici 2020, le souhait est de produire 350 à 400T de blés issus des variétés de la sélection. Cela nécessiterait la mise en culture d’environ 200 ha de surfaces en blé.
Ce projet porté par le PNR Luberon, avec la participation d’AGRIBIO 04 et d’ARVALIS est soutenu par la Fondation de France, la région PACA et le Conseil départemental 04.
Rencontre avec Benoit Layron, paysan et boulanger
Il veut bien parler de ses métiers et de ses motivations, mais le temps lui manque ! Après plusieurs échecs, il finit par trouver un moment pour une ITW.
Benoit c’est un boulanger devenu paysan. Par curiosité, et par goût de mettre les mains dans la terre, après les avoir mises dans la farine. Et pour le plaisir de voir pousser son blé. « C’est passionnant de produire. J’étais content de mon meunier, mais ça m’a intéressé de faire un produit du début à la fin » explique-t-il.
Du blé et du pain bio
Alors bien sûr, il court un peu, entre son fournil à Cucuron où il travaille 3 journées par semaine et ses 23 ha à Villelaure. « Je trouve ça génial, même si j’explose l’agenda… » poursuit Benoît. Mais petit à petit, il arrive quand même à dégager un peu de temps pour lui.
Benoit cultive en bio des blés paysans. Des variétés mieux adaptées à la culture bio, avec plus de paille et moins de maladies. Et puis l’idée que ces blés sont le fruit de milliers et de milliers de sélections faites par des paysans avant lui et qu’ils continuent à évoluer, cette idée lui plait bien ! Alors, au fournil, il a dû adapter son travail. « Ce sont des blés plus fragiles, qui réclament beaucoup d’attention ».
Pour l’agriculture paysanne
Mais ce qui le rend le plus heureux, le paysan-boulanger, c’est de s’inscrire dans une démarche qu’il a choisie : celle de l’autonomie. L’agriculture paysanne, à petite échelle. Celle de l’entraide avec les autres jeunes engagés dans la même philosophie. Le chemin du respect de la terre, de la qualité de l’alimentation et de la santé des consommateurs.
3 questions à Patrick de Kochko, responsable du Réseau Semences Paysannes, intervenant à Faites sans OGM à Apt.
BT : Réseau Semences Paysannes, qu’est-ce que c’est ?
Une association créée en 2003 par 4 organisations : Nature et Progrès, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB), la Confédération Paysanne et le Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique. A l’époque la question des OGM, et la menace d’inscrire les semences bio au catalogue ont fait réfléchir à une organisation pour préserver la biodiversité.
Aujourd’hui le réseau est fort de près d’une centaine de groupes locaux. On échange, on met en réseau, on partage des savoir-faire, des formations avec des producteurs, des jardiniers, des chercheurs, des citoyens… On sauve, on protège, on fait évoluer des semences paysannes. Et le réseau exerce aussi une veille juridique, explore la règlementation, qui est souvent assez floue !
BT : Comment définir une semence paysanne ?
C’est assez complexe et technique, mais pour simplifier on peut dire que c’est une variété où chaque individu est différent, au sein d’une famille, on parle de « population ». C’est une semence qui peut être reproduite par le paysan lui-même. Et enfin elle ne fait l’objet d’aucun droit de propriété.
BT : Pourquoi défendre les semences paysannes ?
Depuis l’Antiquité, les paysans ont sélectionné des graines pour leur récolte future. Quand semencier est devenu un métier, ils ont perdu toute autonomie et les plantes la biodiversité. Les semences industrielles sont des clones, elles sont « homogènes et stables ». Or la semence génère tout le système cultural qui suit. Une semence hybride ne peut pas s’adapter au terrain, donc c’est l’environnement qui doit s’adapter. Il lui faut des engrais, puis des herbicides, puis des pesticides. Une semence paysanne s’adapte, grâce à la diversité de sa population. Elle n’a pas besoin du kit technique !
Aujourd’hui, on estime qu’en Europe, 95% des semences paysannes ont disparu. 75% dans le monde ! C’est une érosion catastrophique de la biodiversité.
Alors pour la défendre, toute la société doit se mobiliser, pas seulement quelques paysans et jardiniers ! la semence est une richesse, une ressource collective qui appartient à tout le monde. On devrait la considérer comme un bien commun, au même titre que l’eau ou l’air.