Valoriser les espaces forestiers de façon durable : c’est l’ambition des acteurs du territoire qui vont rédiger une Charte forestière. 2024 est l’heure du diagnostic. Le Parc naturel régional du Ventoux organise des ateliers. Bleu Tomate a suivi une visite en forêt sur le Plateau d’Albion.
Le rendez-vous a lieu sur une route étroite en bordure de forêt. Nous sommes sur la commune de Saint-Christol d’Albion à 800 m d’altitude. Forestiers, élus, gestionnaires de forêts, propriétaires et chercheurs se retrouvent pour une balade commentée.
Thème de cet atelier de concertation, qui se poursuivra à la mairie : Quelle gestion adopter pour allier production et biodiversité dans un contexte de changement climatique ? Pour répondre à la question, encore faut-il avoir des connaissances.
Les forêts européennes passées au crible
C’est à cette tâche que se sont attelés les scientifiques de l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie). Ils ont installé dans la forêt de la Jeannette, sur un terrain privé de cinq hectares, 64 parcelles d’étude. Après des coupes d’éclaircie de 25 à 100%, ils s’intéressent à la vie du sol. Comment réagit-elle ?
Leurs travaux s’inscrivent dans le projet européen H2020 HoliSoils qui intègre aussi l’Espagne et la Roumanie pour traiter cette question. Parmi les objectifs, l’amélioration des connaissances sur les propriétés physico-chimiques et biologiques des sols. « De nombreuses recherches existent sur la forêt au niveau « du compartiment aérien », précise Mathieu Santonja, enseignant-chercheur à l’IMBE. Mais on connait bien moins « le compartiment sol ».
Outre les micro-organismes, type champignons, le sol abrite toute une faune, depuis les nématodes jusqu’aux araignées, en passant par les collemboles* et autres acariens. Et cet univers secret semble bien jouer un rôle fondamental dans l’éco-système forestier, et lui rendre de nombreux services.
Un monde invisible mais très actif
Alors sur leurs parcelles d’étude, les chercheurs ont installé des sondes microclimatiques qui mesurent température et humidité à différentes profondeurs. Et aussi d’autres dispositifs susceptibles de percer les secrets de la biodiversité du sol mais aussi sa respiration (hé oui, tout ce petit monde respire ! Ce qui fait des sols forestiers un énorme réservoir de CO2).
Autre sujet d’étude, la régénération, qu’elle soit naturelle ou par germination. Mais le site peut accueillir aussi d’autres chercheurs sur le microclimat, les pathogènes des arbres ou encore la mycorhization. Autant de résultats scientifiques qui permettront de nouvelles préconisations, attendues avec intérêt par les propriétaires ou les gestionnaires de forêt.
« On cherche à adapter la forêt au changement climatique, trouver les points de rupture, les seuils au-delà desquels les fonctions naturelles ne sont plus efficaces », explique Mathieu Santonja. Or la forêt a un rôle fonctionnel énorme et la biodiversité du sol lui assure une bonne santé. Elle représente un quart de la biodiversité mondiale et contrôle des processus dont elle seule a le secret.
Partager le savoir pour agir
« Je suis un ancien forestier, mais j’ai beaucoup appris aujourd’hui, nous confie Jean-Pierre Ranchon, adjoint au Maire de Sault et vice-président du Parc en charge de la biodiversité, de la forêt et des espaces naturels. Les sols on en parlait très peu, on parlait de ce qui pousse ! Ici on a beaucoup de forêts sur nos territoires, mais la culture forestière n’est pas si développée que ça. La Charte fait partie des outils pour développer les modes de culture ».
Après la forêt de la Jeannette, le groupe se transporte à quelques kms, dans la forêt privée de la Tuilière. Nicolas Luigi expert forestier qui travaille sur toute la région, la gère selon un itinéraire de culture bien particulier : la sylviculture mélangée à couvert continu.
Une approche globale de la forêt
« Moins on touche une forêt et mieux elle se porte », affirme-t-il. Mais il faut bien sûr répondre aux besoins humains. En particulier fournir du bois pour le chauffage, l’industrie ou encore la construction. Un usage possible dans une logique durable, sans destruction de l’écosystème. Ici la forêt est donc toujours présente sur la parcelle. Avec ce mode de gestion, pas de coupes rases. Mais un entretien et un développement très précis et réfléchi.
Par exemple, certaines zones sont dédiées au passage des engins, qui emprunteront toujours ces couloirs. « Je crée une zone de 15 à 20% de la surface, pour préserver le sol de tout le reste de la parcelle ». Les arbres pourront ainsi s’améliorer lentement. Les plus prometteurs (pour leur vigueur, la qualité de leur couronne, la rectitude de leur tronc…) sont repérés et seront protégés.
Ceux qui les gênent seront coupés peu à peu. Le forestier s’assure que cet enlèvement n’est pas supérieur à l’accroissement naturel de la forêt. Des plantations « sous couvert » sont aussi effectuées. Elles complètent le panel d’essence et favorisent la biodiversité.
Gestion durable rime-t-elle avec rentable ?
« On recherche un état d’équilibre qui sera peut-être atteint dans 100 ans, mais peu importe, il faut bien commencer » poursuit Nicolas Luigi. Car la temporalité de la forêt n’est pas la nôtre. Aujourd’hui pourtant, la rentabilité d’une forêt se mesure quasiment uniquement aux seuls revenus liés à la vente du bois. Un modèle dont il faudrait sortir, selon lui.
« Aujourd’hui la filière bois vit sur une logique de stock, c’est presque un modèle minier qui n’est pas viable dans le temps ». Surtout si on ne compare pas ce qu’on enlève à ce qui pousse. « Le bois c’est 9% de la valeur de la forêt française. 91% ce sont les services rendus par l’eau, les champignons, les balades, la chasse, le microclimat … » Comment rémunérer alors tous ces services que nous rend la forêt ? La compensation carbone y participe et diverses subventions…
Matière à nourrir les réflexions de tous les acteurs du territoire du Ventoux engagés dans l’écriture de la Charte. Après les ateliers de concertation viendra le temps des grandes orientations. L’an prochain, la construction des actions et en 2026, la Charte devrait être signée. La forêt couvre 58 000 ha, soit 60% du territoire du Géant de Provence.
*Les Collemboles sont une classe de petits Arthropodes pancrustacés, souvent sauteurs.
La sylviculture mélangée à couvert continu
Il s’agit d’une gestion proactive des forêts, y compris sous l’angle économique. Elle est dite mélangée car basée sur des écosystèmes forestiers diversifiés et stratifiés, avec plusieurs espèces et des arbres de tous âges et dimensions. Et « à couvert continu » car le recouvrement arboré sera toujours maintenu sur la parcelle. Enjeu ? Obtenir la régénération naturelle des jeunes arbres sous le couvert des arbres adultes, protecteurs et éducateurs des générations suivantes, en même temps que producteur du bois dont on a besoin.