Sécheresses, désertification, pluies diluviennes, inondations : autant de preuves du dérèglement avéré des cycles de l’eau. L’hydrologie régénérative émerge comme une réponse novatrice et respectueuse de la faune, de la flore et de l’homme. Inspirés par la nature, les pionnier.es du domaine dessinent comme une lueur d’espoir dans le paysage aride de nos défis environnementaux régionaux.

Chez les Diesnis, la conscience des enjeux de la ressource en eau se transmet de mère en fille. Guylaine Diesnis, la maman, agricultrice éclairée, a créé le Jardin-forêt des Etangs à Tourves (83). Sa fille Aurélia, inspirée par le parcours maternel, travaille pour le cabinet d’étude Permalab (36) et dessine des projets d’hydrologie régénérative.

Guylaine Diesnis, créatrice du Jardin-Forêt des Etangs à Tourves (83) ©Guylaine Diesnis et sa fille Aurélia Diesnis, designer et formatrice chez Permalab ©Permalab

Comprendre la circulation naturelle de l’eau

«Cette méthode trouve ses racines dans le keyline design (conception par ligne clé) conçu par Perceval Alfred Yeomans (1904-1984) pour améliorer la résilience de sa ferme australienne, précise Aurélia Diesnis. C’est une méthode ingénieuse d’aménagement paysager. On cherche à récolter l’eau de pluie et à la retenir sur ses terres grâce à la compréhension des reliefs et de la circulation naturelle de l’eau. Aujourd’hui, l’hydrologie régénérative commence à se développer en France. »

Vulgariser et convaincre

La sécheresse de 2022 en France a marqué une prise de conscience accrue de l’importance de protéger nos ressources en eau. C’est à ce moment que Chan Sac Balam et Simon Ricard, les fondateurs de Permalab, propagent le concept notamment via le travail de l’association « Pour une hydrologie régénérative ». Leur objectif ? Vulgariser ces principes, faire avancer la recherche et convaincre les acteurs de l’aménagement du territoire de la portée vitale de cette approche.

Assec du lac de Serre-Ponçon à l’été 2022 ©Bérengère Montagne

Aurélia précise: « Le grand cycle de l’eau « bleue », le plus visible, naît de l’évaporation des grandes masses d’eau, génère les pluies et alimente les rivières. Mais il existe aussi, les petits cycles de l’eau « verte », qui concernent l’eau du sol et des plantes. Ces derniers moins connus génèrent pourtant une partie importante des besoins en eau des écosystèmes. Ils jouent un rôle crucial notamment dans la circulation des pluies sur un territoire. »

Mare et plantation d’arbres au Jardin-Forêt des Etangs à Tourves (83) ©Guylaine Diesnis

Avec la déforestation de nos territoires, ces cycles sont perturbés. Les nuages se formant sur les grandes étendues d’eau ne sont plus freinés par la végétation. Ainsi ils se déplacent plus rapidement générant sécheresse sur les côtes et fortes précipitations, voire inondations à l’intérieur des terres.
« L’hydrologie régénérative vise la réparation des cycles hydriques perturbés et des écosystèmes dégradés par l’imitation de ces processus naturels. »

Réparer la terre et l’eau : le cas du Jardin-forêt des Etangs

De la compréhension de ces phénomènes, Guylaine Diesnis en a déduit le rôle vital des arbres et saisi l’urgence de reboiser nos terres dégradées. Au cœur de cette transformation se trouve l’eau et l’arbre comme source de fertilisation des sols par apport naturel de matières organiques et fixation de l’humidité : c’est le modèle de la forêt nourricière. Guylaine l’affirme : « Chaque élément de la forêt, chaque racine et chaque feuille, joue un rôle crucial dans la régulation de l’eau. De l’évapotranspiration à la rétention d’eau dans le sol, les arbres orchestrent un ballet harmonieux qui favorise la vie sous toutes ses formes. »

Culture de fèves au Jardin-Forêt des Etangs à Tourves (83) ©Bérengère Montagne

Ainsi sur ses terres Guylaine a planté plus de 1 000 arbres et une quarantaine d’espèces adaptés au sol et au climat. Ils accompagnent la production des légumes et fruits du jardin-forêt.

Ralentir, répartir, infiltrer et stocker

Afin d’aider le développement naturel de la végétation (arbres et cultures), les projets menés par Aurélia Diesnis impliquent la construction d’ouvrages hydrologiques spécifiques. « Nous commençons par étudier les reliefs, la topographie des lieux. Nous observons comment l’eau circule : la présence de bassins versants, surfaces imperméabilisées, fossés, chemins… pour en déduire un potentiel de ruissellement. Nous dimensionnons précisément les besoins pour ne pas prendre plus qu’il ne faut. Enfin nous définissons les ouvrages hydrologiques, associés aux arbres et à la végétation les plus adaptés au terrain. »

Schéma d’un projet d’aménagement d’hydrologie régénérative ©Permalab

Ces ouvrages permettront de ralentir les ruissellements, de répartir la circulation de l’eau sur le terrain, de favoriser son infiltration et de la stocker temporairement.

Aurélia complète : « On tient compte également de la ressource disponible et de la nature du sol pour la construction des ouvrages (bois, pierre…). Ceux-ci doivent être « low tech » (basses technologies) et à échelle de l’énergie humaine. »

Le jardin-forêt des Etangs : plus qu’une ferme, un laboratoire

Le jardin-forêt des Étangs est un laboratoire vivant de régénération. Avec l’expertise de Permalab et de sa fille, Guylaine met en œuvre des ouvrages innovants pour capter et conserver l’eau. Des mares de biodiversité aux bassins d’orage en passant par les andains (buttes) et baissières (noues d’infiltration) sur courbes de niveau « chaque élément est pensé pour restaurer les cycles hydriques et favoriser la vie ».

Bassin d’orage rempli par la pluie au jardin-forêt des Etangs à Tourves (83) ©Permalab

« Un travail sur les petits cycles de l’eau sur de petites parcelles est toujours intéressant mais il y a un véritable enjeu à assurer la continuité de ces cycles à une échelle plus vaste et donc à plus fort impact », précise Aurélia.

Défis et limites à surmonter

Malgré ses avantages indéniables, l’hydrologie régénérative fait face à des défis importants. « Les processus naturels à l’œuvre dans les cycles de l’eau sont assez méconnus. Il faut passer beaucoup de temps à expliquer, à faire comprendre. » La structure du foncier est aussi une complexité. « La multiplicité des propriétaires, des acteurs à impliquer et le poids de l’administratif freine les projets à plus grande échelle comme celle d’un bassin versant. » Enfin, la réglementation encadre fortement les cours d’eau .Cela limite le type d’ouvrages réalisables à petite échelle tels que les check dam, de petites retenues temporaires permettant de dévier l’eau pour alimenter les cultures.

Check dam (barrage de contrôle) aménagé au Domaine Tasquier (83) ©Permalab

Vers un avenir en vert et bleu

Cependant, des projets tels que celui de « l’Autoroute de la Pluie » dans les Pyrénées Orientales montrent
que des solutions ambitieuses peuvent devenir réalité. Ce projet prévoit le maintien d’une continuité forestière qui permettra de guider les nuages et donc les précipitations ainsi ralenties et réparties du Sud vers le Nord.
À petite ou grande échelle, les initiatives se multiplient et plantent telles que Permalab et le Jardin-Forêt des Etangsl, les graines sont plantées d’un avenir plus vert, où la vie prospère et où l’eau est reine.

 

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