Il marche parce que c’est le moyen le plus écologique de se déplacer. Des Pyrénées jusqu’à Paris. Et il rencontre. Et il raconte son émerveillement devant la biodiversité. Mais elle est menacée. Alors Joseph Garrigue a lancé son appel de la forêt. Bleu Tomate l’a écouté, pendant son escale à Avignon.
La soixantaine grisonnante, il a pris place à une petite table du café-librairie Youpi, à Avignon. D’une voix douce, il répond avec beaucoup de patience aux questions des journalistes. Puis à celles du public venu à sa rencontre. Parti le 13 janvier dernier, il marche 20 km par jour avec sa compagne. Accueillis aux étapes par des amis, des militants, des élus et des citoyens qui les accompagnent parfois sur leur chemin. Une initiative qu’il a appelé « L’appel de la forêt ».
La forêt enchantée
C’est qu’il a eu un gros coup de colère, Joseph Garrigue. Depuis plus de trente ans, il travaille à la Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane, à Argelès-sur-Mer (Pyrénées orientales). Il en était même le conservateur. Et l’écouter en parler, c’est vivre un moment enchanté.
La réserve de la Massane s’étend sur 336 hectares. Sa hêtraie a été classée au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2021. Elle présente une forêt très ancienne avec des milieux d’une incroyable richesse. Sa continuité n’a jamais été interrompue, même si il y a 400 ans, les sapins ont disparu, victimes d’un véritable pillage. Depuis 1880, elle n’est officiellement plus exploitée.
Petites vaches
Les hêtres –depuis 8 000 ans- et les ifs sont toujours là, dans un écosystème complexe et résilient, qui se défend plutôt bien face aux agresseurs. De vieux arbres bien adaptés et bien diversifiés sur le plan génétique, donnant plus de chance à leur descendance. « Dans la forêt de la Massane, on étudie les interactions entre les organismes vivants, explique le naturaliste à un public attentif. Par exemple, nous avons un troupeau de petites vaches, maintenues en forêt et sur les prairies sommitales. C’est important pour la biodiversité ! Avec leur double digestion, elles apportent une grande biodiversité ».
45 000 espèces sont répertoriées dans la Réserve, dont 10 000 seulement visibles à l’œil nu. Bien sûr depuis trente ans qu’il la parcourt, Joseph Garrigue a constaté un effondrement de la biodiversité, comme partout ailleurs. Sans parler du changement climatique qui vient percuter la forêt de plein fouet.
Un milieu préservé… pollué
Mais ce qui l’a mis en colère, ce sont les résultats des chercheurs annoncés en novembre dernier lors d’un colloque à l’occasion des 50 ans de la Réserve. Un constat accablant : la présence massive de polluants, plomb, arsenic, mercure, etc… Des résidus de pesticides agricoles, retrouvés notamment dans les dendrotelmes, ces cavités dans les arbres où l’eau s’accumule. Et cela dans les mêmes proportions que dans les grandes cultures agricoles, ou dans le port de Marseille ! « Je ne suis plus en capacité de protéger cette Réserve, alors j’ai démissionné pour me consacrer à cette marche. Je me suis dit je vais utiliser la Massane qui est très connue dans les milieux professionnels, et considérée comme une zone protégée, pour ajouter mon petit caillou, même si cela peut paraître dérisoire ».
Faire sa part
Après quarante-cinq jours de marche, le naturaliste a prévu d’arriver le 2 mars à Paris. Au Muséum national d’histoire naturelle, bien sûr, « le temple de la biodiversité », 68 millions de spécimens y sont conservés dans les différentes collections. Et puis à l’Assemblée nationale, où il espère rencontrer et conscientiser les élus de la République. Et enfin –comment l’éviter- au Salon de l’Agriculture.
« Toutes les solutions existent pour sortir de cette situation, affirme le guide. On peut arrêter les pesticides du jour au lendemain, mais il faut en donner les moyens aux agriculteurs. Ils ont raison d’être en colère ! Il faut soutenir de façon massive la transition, il faut travailler avec le vivant et pas contre lui ».
Un combat pour la vie
Après sa marche de 900 km, Joseph Garrigue consacrera son temps à la sensibilisation au vivant. « J’ai passé ma vie à conduire des recherches, tout est sur la table. Il n’y a plus rien à prouver sur le plan scientifique. Maintenant il faut trouver les moyens de toucher les gens » explique-t-il. Par l’artistique sans doute, pour faire partager son amour pour la terre et le vivant. « C’est un combat pour la vie, joyeux et entraînant, se réjouit-il. A l’échelle du temps de la forêt, et pas celui des humains ». Lui et sa compagne sont partis en musique et en fanfare, entourés de plusieurs centaines de personnes.
Kristell, qui accueille les deux marcheurs à leur étape avignonnaise conclut la soirée : « Cette marche rend visible ce qu’on ne voit pas, à la fois les molécules chimiques et les espèces qui disparaissent. Tu incarnes aujourd’hui une forêt qui ne peut pas se déplacer, tu lui donnes une voix partout où tu passes, jusqu’à Paris », affirme-t-elle. Joseph Garrigue porte donc la voix de la Massane. Il espère éveiller les consciences et être entendu « dans les hautes sphères ». Il a reçu le soutien de très nombreux collègues, naturalistes et chercheurs qui partagent son constat et son combat.
On peut suivre son périple et recueillir des informations ici.
Crédit logo de Une : Diane Sorel rnn Massane