Dans la canopée

C’est une visite insolite et exceptionnelle que l’organisme de recherche proposait au public ce 7 octobre, dans le cadre de Sciences en Fête. Une balade à 3,50 m de hauteur dans la forêt méditerranéenne. Sur le site de l’Observatoire de Haute Provence, à Saint-Michel (04), les chercheurs mesurent les effets des changements climatiques.

Une balade dans la canopée, cela se mérite. Il est 14 h, nous sommes début octobre. Et les premières consignes données au petit groupe de curieux sont « eau et chapeau !». Comme au plus fort de l’été ! Car pour accéder au site, il faut monter quelques centaines de mètres sur une petite route en plein soleil. Un parcours qui prend un air de minuscule traversée du désert !

Avant la balade dans la canopée, briefing

Petit briefing avec le groupe de visiteurs avant la balade dans la canopée ©CNRS Photo de Une : Marcher dans la canopée, un privilège rare offert par le CNRS à l’occasion de la
Fête de la science © A. Haguenauer OHP-CNRS

Venus de Bédoin, Manosque ou Marseille, les visiteurs se rassemblent à l’entrée du périmètre de 600 m2 environ. Ici les chercheurs travaillent sur leurs installations depuis 2012. Des passerelles  à 80 cm et 3,50 m permettent de se déplacer dans la forêt sans perturber l’écosystème et les instruments de mesure au sol ou en hauteur.

Un site de recherche dynamique et « in natura »

Mais l’innovation ici –unique en Europe- c’est le système de volets refermables et imperméables qui court sur la moitié de la parcelle. Ce « toit ouvrant » permet de simuler les conditions de précipitations annoncées par les climatologues à la fin du siècle, soit 30% de moins qu’aujourd’hui.

Environ 20 jours par an les volets sont fermés, et la parcelle ne reçoit pas de pluie. Elle est dite « sous sècheresse aggravé ». Les chercheurs étudient la canopée et le sol et comparent leurs résultats à la parcelle-témoin voisine.

Dans la canopée, les arbres continuent à pousser

Ce n’est pas la jungle amazonienne, mais il faut parfois quand même se frayer son chemin sur la haute passerelle ©JB

Comment réagit la forêt face à la sécheresse ? C’est la question sur laquelle Elena Ormeno, directrice scientifique de la plate-forme travaille –en collaboration avec de nombreux scientifiques*- depuis 13 ans. Chargée de recherche pour le CNRS à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale ( IMBE), elle conduit la visite et fournit toutes les explications. Elle a même demandé, rien que pour nous, la fermeture des volets. Nous sommes sur la haute passerelle, et il fait tout de suite bien meilleur, à l’ombre !

Une forêt en pleine évolution

La forêt méditerranéenne est ici essentiellement composée de chênes pubescents, de pins d’Alep et de chênes verts. Les scientifiques mesurent l’état de santé de la forêt, des arbres, du sol au feuillage et  leur évolution. En particulier leur capacité à absorber le CO2, mais aussi les défenses chimiques et physiques qu’ils déploient pour lutter contre le manque d’eau. Ou encore la dégradation de la litière au sol. Phénomène indispensable pour que les nutriments des feuilles en décomposition reviennent au sol et nourrissent ainsi les arbres.

Sur la passerelle du projet O3HP

Démonstration par Elena Ormeno de l’utilisation d’un manchon pour le recueil d’informations sur la branche, les volets ont été fermés © A. Haguenauer OHP-CNRS

Des résultats de ces études, Elena Ormeno explique au groupe que les chercheurs ont tiré des enseignements. Par exemple que la sécheresse chronique conduit les arbres à produire moins de défenses chimiques (leurs médicaments en quelque sorte). Les feuilles présentent aussi un plus grand nombre de poils afin de refléter davantage les rayons ultraviolets. Et puis elles deviennent plus petites, résultat les arbres ont moins de masse à protéger. La conséquence est qu’ils absorbent moins de CO2.

Absorber ou larguer du CO2 ?

Autre effet de la réduction de l’eau, les stomates (comme des pores à la surface des feuilles, ils permettent les échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère) sont moins nombreux, l’arbre transpire moins et perd ainsi moins d’eau. Mais même conséquence sur la fixation du carbone qui se trouve réduite.

Et parmi les découvertes les plus récentes, les scientifiques ont noté qu’au sol, les organismes qui décomposent la litière travaillent moins, s’ils n’ont pas d’eau en juillet par exemple, ils sont presque à l’arrêt. Le processus de formation de sols vivants est ralenti.

capteurs dans la canopée

Le périmètre d’étude est truffé d’appareils de mesures et de capteurs ©JB

Dernier constat, établi à l’O3HP par les scientifiques mais aussi sur le site de Saint-Christol et ailleurs en Europe. Les chênes pubescents –et plus largement les chênes décidus- ont de plus en plus de mal à se reproduire, à partir de glands. Ce phénomène implique une perte de diversité génétique.

Quand la sécheresse met la forêt à l’arrêt

Conséquences de tous ces changements : une forêt moins dense, avec des arbres et des feuilles plus petits, qui n’absorbent plus de CO2 quand ils ont trop soif. Ils sont cependant résilients, retrouvant un fonctionnement « normal » lorsque les pluies reviennent !

Recueil de la litière

Dans ces bacs, les scientifiques recueillent et analysent la litière ©JB

Trois essences sont typiques de la région, chêne vert, pin d’Alep et chêne pubescent. Ce dernier parait le plus vulnérable à la sécheresse chronique (résultat d’une étude récente de l’INRAE, du CNRS et d’Aix-Marseille-Université). Matière à faire réfléchir les décideurs dans leur choix pour replanter des forêts.

Construire la forêt de demain

Le chêne pubescent a donc vocation à monter plus au nord en France. Là-bas, les cousins « sessile » et  « pédonculé » souffrent sévèrement de la sécheresse. Dans la région méditerranéenne française, si le pin d’Alep est plus résistant que lui à la sécheresse, il brûle très bien et très vite ! Mieux vaut donc le planter avec d’autres espèces moins « pyrophiles » comme le chêne pubescent ou le chêne vert. De manière générale, les forêts riches en biodiversité sont plus résilientes aux changements rapides du climat que les forêts dominées par une ou peu d’essences.

passerelle à 3,50 m de haut

Marcher à la cime des arbres, une expérience inoubliable ©JB

A l’issue de la visite, Isabelle, venue de Marseille se réjouit d’avoir  appris des choses sur la manière de conduire les expériences scientifiques. « J’étais déjà consciente du problème du changement climatique, mais j’apprécie d’avoir en direct un véritable discours scientifique sur le terrain », confie-t-elle. Maxime, de Bédoin, a trouvé la présentation très bien, « mais ça fait un peu peur de savoir comment tout ça va évoluer, poursuit-il. De toute façon il faut changer notre de mode de fonctionnement, moi je fais déjà attention, je suis prêt à changer ».

De nouveaux projets de recherche

Et les chercheurs n’ont pas fini de chercher ! Un prochain dispositif va permettre de développer de nouvelles études notamment sur le réchauffement climatique. Dès janvier 2024, dans des cercles de 2,50 m de diamètre, seront recréées  au sol cette fois, soit une atmosphère plus chaude (grâce à une circulation d’eau chaude), soit des précipitations réduites. Soit encore  les deux combinées. Que se passera-t-il ?

Elena Ormeno, directrice scientifique du projet O3HP dirige la visite et explique les changements liés à la sécheresse © A. Haguenauer OHP-CNRS

Chaque année, une vingtaine de chercheurs de différentes disciplines et 3 ou 4 post-doctorants travaillent en lien avec le site de recherche du CNRS, à l’Observatoire de Haute-Provence.

Reconduit pour 10 ans, le projet O3HP (Oak Observatory at the Observatoire de Haute Provence), est aujourd’hui devenu une plate-forme d’expérimentation sur les changements climatiques à long terme. Le site est désormais inclus dans le réseau européen ANAEE-Europe (Analysis and Experimentation on Ecosystems).

*l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale), le BIAM (Institut de biosciences et biotechnologies d’Aix-Marseille) leLCE (Laboratoire Ecologie et Environnement) et  la Fédération de recherche ECCOREV.

Pour aller plus loin

Retrouvez ici, dans notre émission ON EN PARLE,  l’ITW de Thierry Gauquelin, Professeur émérite à l’ Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie Marine et Continentale (IMBE). Il nous alerte sur l’importance de préserver les forêts et leur rôle de puits de carbone !

Fête de la science

logo Fête de la science C’est la 32e édition de cette manifestation organisée par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).  Du 6 au 16 octobre, le grand public a l’opportunité de découvrir le travail quotidien des chercheurs. Le thème cette année est celui du sport.
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, 133 villes et 193 acteurs  se mobilisent dans plus de 900 opérations, durant les 11 jours d’événements ! Des milliers de scientifiques et médiateurs culturels partagent leur passion pour les sciences. Visites de laboratoires, spectacles vivants, expérimentations, visites des Villages et Festivals des sciences… Il y en a pour tous les goûts !
La visite insolite à l’Observatoire de Haute-Provence est une première dans ce cadre.
Pour découvrir le programme complet, cliquez ici.