Pour économiser la ressource, la réutilisation des eaux usées est une piste étudiée par la Région Sud PACA, qui a lancé un plan à ce sujet. Il s’appuie sur l’expertise de la Société du Canal de Provence (SCP), engagée depuis des années dans le suivi d’une action sur l’île de Porquerolles.
Et si l’eau des stations d’épuration était suffisamment traitée pour être réutilisée, plutôt que rejetée dans les milieux naturels ? Tandis que le réchauffement climatique fait apparaître de manière inédite des tensions sur la ressource, ces millions de m3 dépollués avant d’être déversés dans les rivières pourraient servir une seconde fois s’ils étaient mieux épurés. C’est l’une des pistes retenues par la Région Sud PACA lors de la présentation au Salon International de l’Agriculture (SIA), cet hiver à Paris, de sa stratégie pour « la préservation des milieux aquatiques, de la ressource en eau et de l’hydraulique agricole ».
Pas de barrière technique ni règlementaire
Retraiter les eaux usées pour qu’elles soient réutilisables : l’affaire semble tomber sous le sens à l’heure où la « crise de l’eau » menace. D’autant qu’il « n’y a pas de barrière technique ni règlementaire », assure Jean-Marc Philip, directeur commercial et innovation de la Société du Canal de Provence. Seulement « une barrière économique potentielle et un déficit de communication pour améliorer son acceptabilité sociale », tempère l’ingénieur agronome.
Un décret facilitant depuis 2022
Côté textes, un arrêté de 2010 « relatif à l’utilisation d’eaux issues du traitement d’épuration des eaux résiduaires urbaines pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts » a défini le cadre. Son recours a été simplifié pour un décret publié en 2022. « Il est encore peu utilisé, en raison de cette question d’acceptabilité et parce que jusque là, il n’y avait pas trop de besoins en eau en région Sud PACA », précise Jean-Marc Philip.
17 hectares irrigués à Porquerolles
Depuis 40 ans, pourtant, l’île de Porquerolles expérimente avec succès cette technique. 17 hectares de vergers de figuiers et d’oliviers appartenant au Conservatoire national botanique méditerranéen, ainsi qu’une zone de maraichage, sont irrigués au goutte à goutte par les eaux retraitées de la station d’épuration locale. « Le traitement est à base de boues, dont les bactéries nettoient l’eau. Celle-ci est ensuite déversée dans trois lagunes successives où poussent des végétaux qui vont la purifier », résume l’ingénieur agronome. La SCP intervient comme bureau d’études sur ce projet techniquement concluant.
Entre 0,25 et 0,80 centime d’€ du m3
Si cela marche à Porquerolles, c’est que l’île est confrontée depuis toujours au manque d’eau et que la station d’épuration et la zone à irriguer sont proches. « Plus la distance est longue, plus le coût augmente. Une eau usée retraitée coûte entre 0,25 et 0,80 centime d’€ du m3. C’est beaucoup plus cher que de l’eau brute prélevée dans une rivière mais moins onéreux qu’une eau potabilisée ou issue de la désalinisation », dit Jean-Marc Philip.
Dans la stratégie de la Région
L’idée de recourir plus intensément à cette technique a donc refait surface durant l’été 2022, quand le manque de pluie et la baisse des nappes phréatiques a mis crûment sur la place publique les problèmes d’approvisionnement en eau et les risques sévères d’arbitrages coercitifs autour de son usage. C’est ainsi que la « réutilisation » a été prise en compte par la Région dans sa stratégie.
Recenser les initiatives
L’objectif lors du SIA était celui de la communication. Dans les faits, le plan autour de la réutilisation des eaux usées consiste seulement pour l’heure à recenser, avec la SCP, les initiatives mises en œuvre, avant d’en impulser d’autres « dès 2024 », promet Jean-Marc Philip. La Chambre d’Agriculture Provence-Alpes-Côte d’Azur et Aix-Marseille Université sont partenaires de la démarche. La première car l’usage en irrigation agricole est le plus attendu ; la seconde pour l’expertise technique de ses laboratoires de recherche.
Projets dans les Alpilles et à Cuges-les-Pins
Parmi les autres projets, il y a « REUT », dans les Alpilles. En lien avec la Communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles, il s’agit d’irriguer les oliviers d’une grosse exploitation et de nettoyer les voiries avec de l’eau retraitée. A Cuges-les-Pins (13), un projet porté par la Métropole Aix-Marseille est de créer une zone de 40 ha de surfaces agricoles sur des terres en friche et des les arroser avec de l’eau purifiée issue d’une station d’épuration voisine.
De la neige artificielle avec des eaux usées ?
D’autres projets sont suivis ou initiés par la SCP : dans le Haut-Calavon (04) ; pour l’arrosage des golfs, à Sainte-Maxime et à Grimaud… « Nous sommes dans un moment de basculement. Il s’agit d’être imaginatif. Pourquoi ne produirions-nous pas de la neige artificielle avec des eaux usées, comme les Chinois l’ont fait à Pékin pour les JO de 2022 ? Jusque là, nous avons toujours eu de l’eau et sans doute manqué d’initiative. C’est pour çà que nous sommes en retard sur d’autres pays – voir ci-dessous. Même si la réutilisation des eaux usées ne sera qu’une réponse locale à des besoins locaux, elle peut être vertueuse en termes financiers, d’empreinte environnementale et sociétale », dit Jean-Marc Philip. L’eau « sale » a un avenir propre.
Les pays « secs » en avance
Les régions du monde confrontées depuis des années à la rareté de l’eau ont pris les devants en termes de réutilisation des effluents usés. Ainsi, le Maghreb, le Proche-Orient et l’Asie du Sud sont-elles très en avance. A Tel Aviv (Israël), 100% des eaux usées sont réutilisées. « Epurées, désinfectées, elles sont réinjectées dans la nappe phréatique de la ville ! », éclaire Jean-Marc Philip. Le pays retraite plus de 80% de ses eaux usées. La Jordanie, l’Australie, l’Espagne sont aussi pionnières, notamment pour le nettoyage de la voirie… et des bateaux.
La réutilisation est aujourd’hui pratiquée dans plus de 60 pays. Le taux en Tunisie est de 25%, de 14% en Espagne, de 8% en Italie et de… moins de 1% en France (une centaine de stations d’épuration sur 22 000, chiffres 2020). Ne parlons pas de Singapour : un tiers de l’eau… potable provient des eaux usées retraitées !
La SCP en bref
– 4 activités : gestion du Canal de Provence ; Bureau d’études/Ingénierie ; Services ; Production d’énergie renouvelable (hydroélectricité et photovoltaïque).
– Le Canal de Provence provient majoritairement du Verdon, avec prise d’eau au lac d’Esparron. Il compte 5 600 km de canalisations, la plupart enterrées.
– 5 000 clients : collectivités (arrosage, nettoyage…) ; industriels ; agriculteurs (50% des surfaces irrigables de PACA son arrosées par l’eau de la SCP) ; particuliers (arrosage jardins…).
– Siège social : Le Tholonet (13)