Telle était la question posée au colloque tenu à St Rémy-de-Provence (13) par la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique et Bio de Provence, le 18 avril dernier. Les intervenants ont confronté leurs données, savoirs et pratiques, entre espoirs et urgences.
La question est légitime. A la lumière du changement climatique et de sa cohorte de sécheresses, canicules et phénomènes météo extrêmes, le monde de l’agriculture bio s’affiche comme vertueux et se déclare apte à répondre aux crises en cours.
« Il est impératif de procéder à la transition agroécologique ; à défaut, nous irions au-devant de problèmes majeurs » affirmait en mars dernier*, Marc Fesneau le ministre de l’Agriculture. Le gouvernement français a d’ailleurs fixé l’objectif de 18% de surfaces en bio d’ici 2027 (contre 10.6% aujourd’hui) et l’Europe affiche l’objectif de 25% en 2030.
La bio sur toute la planète ?
Pour les bio, la généralisation de leur agriculture est bien sûr souhaitable. Mais ils se demandent si elle est techniquement faisable. En se développant, la bio aura en effet un besoin croissant d’éléments fertilisants –azote et phosphore, principalement.
Parmi les intervenants, Alexis Dufumier**, ingénieur agronome souligne le déséquilibre entre offre et demande. Selon lui, 6 régions françaises concentrent 66% de l’offre de matières fertilisantes d’origine animale (la Bretagne en tête), et 6 autres concentrent 71% des besoins avec leurs grandes cultures et les surfaces fourragères (notamment la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie).
Quant à notre région, elle est celle qui présente le plus fort décalage entre offre et demande (après la Corse). Car nous avons beaucoup de surfaces agricoles en bio et peu d’élevage.
Besoin de fertilisants
Selon Joséphine Demay, doctorante à l’INRAE de Bordeaux, une partie de l’agriculture bio dépend des effluents de l’élevage. D’où cette contradiction : si on augmente fortement les surfaces en bio pour nourrir les humains, on va réduire la part de l’élevage, et donc la quantité des matières fertilisantes, pourtant nécessaires !
Pour la jeune chercheuse, si 60% des surfaces agricoles étaient cultivées en bio, cela permettrait de nourrir la population mondiale. (Pour rappel, 1.5% des terres agricoles seulement sont aujourd’hui cultivées en bio sur la planète). Mais à quelques conditions ?
Changer de modèle
Tout d’abord il faudrait une réduction massive du gaspillage, qui concerne aujourd’hui, selon la FAO, un tiers de la production alimentaire mondiale. Autre nécessité, le changement de régime dans les pays riches (moins de protéines animales, moins de Kgcalories/personne). Et puis avoir recours à d’autres sources de fertilisants, tels les biodéchets et les effluents des stations d’épuration. Et bien sûr favoriser le développement des légumineuses en rotation sur les parcelles qu’elles enrichissent en azote.
D’ores et déjà, de nombreux agriculteurs agissent à l’échelle de leur ferme. Plusieurs sont venus au colloque témoigner de leurs pratiques, depuis la diversification et l’intensification végétales et l’agroforesterie, jusqu’à la réduction du travail du sol, en passant par la réintroduction de l’élevage, en complément des cultures.
Les fertilisants non agricoles
Autre levier, les actions à l’échelle du territoire. Elles passent par l’organisation de filières locales (ou régionales) de collecte des biodéchets des collectivités à destination des producteurs en passant par des stations de compostage. La FNAB développe ainsi un projet MONA (Matières Organiques Non Agricoles) avec le réseau Compostplus.
Et au-delà des biodéchets, l’utilisation d’une autre source de fertilisants, les excretas humains a été posée. Ils constituent un véritable gisement d’azote qui serait mobilisable après traitement. Pauline Legrand, docteure en anthropologie travaille sur la question dans le programme OCAPI.
Pour la jeune scientifique, il serait naturel que les matières organiques humaines –et fertilisantes- retournent au sol, où elles ont été prises. Plutôt que ces minéraux (phosphore, azote, potassium…) ne soient détruits dans les stations d’épuration.
Explorer des gisements
Bien sûr, il serait nécessaire de les traiter afin d’éliminer les agents pathogènes et les résidus de médicaments. Une filière pilote est en cours d’organisation. Il faudra rapprocher le monde de l’assainissement du monde agricole. Et effectuer un travail pédagogique auprès des acteurs et du public.
En conclusion du colloque, Philippe Camburet, président de la FNAB pouvait répondre « oui » à la question initiale, mais à certaines conditions, comme le retour au respect des cycles locaux sur les parcelles, et à leur relocalisation. Il évoque ici celui de l’eau, des déchets, des productions ou encore de la qualité des sols… Autre condition, la réduction de notre consommation (du moins dans les pays riches) et enfin la hausse de la production, grâce à la recherche, mais aussi à l’imagination et la créativité de chacun.
Un propos qu’il résumait ainsi : « Oui la bio pourra nourrir le monde, mais pas tel qu’il est aujourd’hui ».
*Audition devant la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale le 7 mars 2023 **Alexis Dufumier, coauteur de l’Etude prospective sur l’estimation des besoins actuels et futurs de l’agriculture biologique en fertilisants organiques, commandée par le Ministère de l’agriculture en 2022.
La FNAB revendique
La Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique a tenu son Assemblée Générale à St Rémy-de-Provence. L’occasion pour son président d’alerter une nouvelle fois sur la situation du secteur, en difficulté depuis un 18 mois. Recul de la consommation, et baisse de l’offre (en particulier dans les moyennes et grandes surfaces), ont mis en péril un certain nombre de fermes. La FNAB a donc demandé aux pouvoirs publics d’assumer leurs responsabilités et de soutenir la bio.
Une filière qui souffre
Malgré le financement d’un plan de communication l’an dernier, qui va être renouvelé en 2023, et la somme de 10 millions d’euros promise par le Ministère de l’agriculture, pour les responsables de la filière, le compte n’y est pas. Ils estiment les besoins à 150 millions d’euros, et comparent ce chiffre aux 2 milliards d’euros versés l’an dernier à la filière conventionnelle.
Entre inquiétude et colère
La FNAB affirme ressentir un réel manque de considération pour la bio. Elle constate également que la Loi Egalim qui prescrivait 20% de bio dans la restauration collective au 1er janvier 2022 est loin d’être appliquée, avec un chiffre moyen de 6.6% !
Pourtant, déclare la FNAB, « la bio est à même d’apporter des réponses aux multiples enjeux auxquels nous devons faire face : qualité de l’eau et de l’air, destruction des milieux naturels et perte de biodiversité, changement climatique, emploi, santé, sécurité alimentaire des territoires ».
Bio de Provence-Alpes-Côte d’Azur
L’instance régionale fédère et coordonne les structures des 6 départements. Elle fête cette année ses 30 ans. Pour son président, Pierre Alanda, la poursuite du développement de la bio relève de l’intérêt général et doit être soutenue par l’Etat. Le responsable agricole réclame –en plus du soutien conjoncturel aux producteurs en difficulté- un plan pour la bio. Autrement dit des mesures structurelles ambitieuses et un financement à la hauteur.
La Bio dans la région
–4915 fermes (+9,7 % en 1 an), soit 27,3 % du total (13,4 % en moyenne nationale)
-1ère région française en Surface Agricole Utile (SAU) avec 206 682 ha,
soit 35,8 % de la SAU de la région (10,3 % au niveau national)
–1ère région en surfaces pour
-fruits à pépins (pommes-poires 26 %-cerises 32 %)-PPAM 31%
-Oliviers 56 %
-Raisin de table 40 %
-Riz 83 %
2e région pour
-Amandiers 25 % et figuiers 43 %
Filières les plus représentées : -surfaces fourragères, viticulture, légumes frais