En octobre 2020, cet épisode accompagné de pluies diluviennes a fait des ravages dans les vallées montagneuses des Alpes-Maritimes. Pourquoi une telle catastrophe s’est-elle produite ? Et surtout, peut-elle se répéter plus souvent en raison du réchauffement climatique ?
C’était la nuit entre le 2 et le 3 octobre 2020. Les habitants des villages des vallées de la Tinée, de La Vésubie et de la Roya, dans les Alpes-Maritimes ont été tirés de leur sommeil par une pluie battante et des vents très violents. Le bilan est lourd : dix morts, huit disparus et des dégâts aux infrastructures publiques déclarés comme les plus graves depuis l’après-guerre, estimés à 720 millions d’euros. Que s’est-il passé cette nuit-là ?
Un phénomène météorologique intense
Selon Météo France, malgré quelques rafales de vent remarquables en Bretagne, Alex reste une tempête modérée. Toutefois les conséquences dramatiques à la suite des pluies diluviennes dans l’extrême sud-est en ont fait un événement mémorable. La tempête Alex provient du creusement très rapide d’une dépression sur l’Atlantique, à environ 600 km de la Bretagne. Première de l’année, sa particularité a été sa précocité. En effet, les tempêtes en France sont habituellement observées au cœur de l’hiver. Selon les données de Météo France, on ne dénombre que 18 tempêtes en octobre depuis 1981 et aucune majeure avant le 15 octobre.
Dans le cas d’Alex, un tel creusement a été rendu possible par une forte dynamique en altitude, et notamment la formation d’un « courant-jet ». « Il y a eu une forte alimentation en air très doux chargée d’humidité sur la Méditerranée, qui avait eu le temps de chauffer tout l’été », explique Olivier Proust, prévisionniste à Météo-France, « mais aussi des courants massifs, avec un record de vents de sud sur la région Sud PACA qui sont allés à la rencontre de l’air froid en altitude. Tous les ingrédients pour des précipitations intenses étaient réunis ».
Plus de 300 mm de cumuls de pluie le 2 octobre 2020
La tempête a donc déclenché un épisode méditerranéen sans précédent : une transition entre du chaud et du froid. Concrètement, un orage très violent. En seulement quelques heures ou quelques jours, il peut tomber l’équivalent de plusieurs mois de précipitations… Sur la journée du 2 octobre, les cumuls de pluie dépassaient 300 mm dans l’intérieur des Alpes-Maritimes. La zone avait est placée en vigilance rouge pluie-inondation.
Quid du changement climatique dans tout cela ?
Bien que cela soit difficile d’établir un lien de cause à effet, l’analyse des événements pluvieux extrêmes méditerranéens au cours des dernières décennies met en en évidence une intensification des fortes précipitations. Selon les données de Météo France, il y a eu une augmentation de 22 % des maxima de cumuls quotidiens entre 1961 et 2015 et une augmentation de la fréquence des épisodes méditerranéens les plus forts, en particulier ceux dépassant le seuil de 200 mm en 24 heures. Pour Olivier Proust, nous allons assister à une recrudescence des épisodes les plus intenses. « Un air plus chaud contient plus d’eau et a donc un potentiel de précipitations plus important », affirme l’expert. « Cela veut dire que l’on n’aura pas nécessairement plus de circulations propices à un épisode méditerranéen, en revanche, chaque épisode va pouvoir donner plus de précipitations, à l’image des derniers évènements ». Les vallées montagneuses des Alpes-Maritimes sont alertées.
3 questions à Romaric Cinotti, responsable adjoint Prévision et Climatologie à la Direction Sud Est de Météo France, à Aix-en-Provence. L’expert était chef prévisionniste régional lors de la tempête Alex en octobre 2020.
Quels sont les ingrédients qui ont fait basculer la tempête Alex en catastrophe naturelle ?
La particularité de la tempête Alex a été ce que l’on appelle un phénomène de stationnarité : une grosse masse orageuse qui est restée bloquée au niveau de la frontière entre les Alpes Maritimes et l’Italie. Généralement, les épisodes méditerranéens, et la tempête Alex en est un, sont liés à des masses d’air que l’on appelle des gouttes froides. Une goutte froide est de l’air plus froid qui va être situé au milieu de l’atmosphère. Or, l’air froid est plus dense et a donc tendance à se retrouver plus près du sol alors que l’air chaud, comme dans une montgolfière, a tendance à s’élever et donc à se retrouver plutôt en altitude. Et lorsqu’on a une goutte froide qui se balade, l’air chaud qui se trouve vers le sol va vouloir prendre la place de l’air froid qui cherche, lui, à prendre la place de l’air chaud. C’est ce qui va générer un mouvement, comme dans les casseroles d’eau : on voit les bulles qui montent et descendent. C’est tout le principe des phénomènes convectifs, c’est-à-dire des phénomènes orageux.
En octobre 2020, nous avions une mer Méditerranéenne très chaude avec un courant en hauteur qui se dirigeait droit vers le relief et un courant près du sol qui a pu récupérer toute l’humidité de la Méditerranée. Cela a fourni du carburant à l’orage. C’est ce contexte qui a rendu Alex si explosif : un orage alimenté avec du carburant. Pour les prévisionnistes la vraie question a été : à quel moment cette alimentation s’arrêtera ?
L’évènement aurait-il pu être mieux anticipé pour éviter ses conséquences dramatiques ?
La goutte froide à l’origine de la tempête Alex a été particulièrement bien vue par plusieurs modèles météorologiques, et cela plusieurs jours à l’avance. Elle se dirigeait vers les Alpes Maritimes et était dans nos radars. Nous avons donc pu avertir sur la carte de phénomènes dangereux le mardi puis le mercredi, qu’un épisode particulièrement intense, c’est-à-dire à partir d’un niveau de vigilance orange, allait se produire. Et nous étions en relation avec les services de sécurité et les collectivités locales pour anticiper la situation. Nous avons lancé la vigilance rouge dès 6h le vendredi 2 octobre. J’espère que ce dispositif a permis à des personnes de ne pas prendre leur voiture et de ne pas s’exposer au danger. Malgré cela, nous n’aurions pas pu prévoir les cumulus si impressionnants que l’on mesurés.
Il faut comprendre que les modèles météorologiques sont par nature des simplifications de ce qu’il se passe dans l’atmosphère. Pour être plus précis, nous devrions avoirs des mesures de l’atmosphère sur chaque point du globe à l’instant T, ce qui est impossible. Et afin de permettre une plus grande rapidité de calcul pour justement prévoir les phénomènes météorologiques, les modèles simplifient largement les phénomènes physiques. Avec Alex nous avons été confrontés à une conjonction d’éléments propices à des orages assez prévisibles, en particulier avec une mer particulièrement chaude… Mais en général, plus la situation va être évolutive, (comme avec les gouttes froides qui sont source d’instabilité), plus la prévisibilité des phénomènes est réduite.
Devons-nous craindre de phénomènes tel qu’Alex dans les années à venir ?
Ce que l’on peut voir, c’est que le changement climatique est déjà est à l’œuvre. La première conséquence est justement de favoriser les épisodes méditerranéens intenses. Que cela soit dans l’atmosphère ou sur les surfaces d’eau (mer ou océans) cette hausse de température se répercute très clairement : il faut imaginer qu’un cyclone ou un ouragan, qui sont d’ailleurs deux noms différents pour un même phénomène météo, se nourrissent en particulier d’une surface océanique particulièrement chaude. C’est le fameux carburant.
L’atmosphère est un fluide en mouvement, et en perpétuel déséquilibre, dont l’objectif est de retrouver une certaine stabilité…. Malheureusement illusoire. La fonction des orages ou des cyclones, est de retrouver cette stabilité lorsque le déséquilibre devient trop important. C’est bien ce qui explique l’alternance des journées ensoleillées et de celles pluvieuses. Tout phénomène météorologique cherche à rétablir cet équilibre dont l’altération est accentuée par le réchauffement climatique. À ce jour, nous n’avons pas d’éléments pour prédire la fréquence d’épisodes méditerranéens intenses, mais l’on sait que le contexte va être propice à des épisodes de plus en plus forts.