Le 6e Forum du Projet Alimentaire Territorial du Luberon réuni à Lourmarin (84) le 29 juin a tenu ses promesses. La majorité des participants venue avec des questions… ou des réponses, a pu échanger en toute liberté. Objectif : faire éclore -et converger- les actions pour une alimentation durable.
« Il faut qu’on arrive à manger bon, bio et sain, introduit Patrick Courtecuisse, vice-président du Parc naturel régional du Luberon, en charge de l’agriculture et du tourisme durables. Pour ça il faut des terres, des agriculteurs, et qu’ils commercialisent leurs produits en circuit court. Cela passe par l’éducation et en particulier celle des futurs consommateurs que sont les enfants. On doit devenir exemplaire, à l’échelle de la France ».
Ainsi sont posés les enjeux du forum qui réunit élus, techniciens, chefs de cuisines, représentants d’associations et simples citoyens. D’emblée, Julie Rigaux, chargée d’animation PAT rappelle le contexte.
Un territoire déjà engagé
Il comporte 78 communes et présente une mosaïque de productions (nombreuses sous signe de qualité). Elles sont les composantes de la fameuse diète méditerranéenne. Ce régime est reconnu pour ses bienfaits sur la santé et l’environnement. Le secteur vente directe, dynamique, a doublé depuis 2010.
Malgré ces atouts, le territoire connait aussi une réduction de la surface agricole utile (SAU) et de certaines productions. Comme les céréales et les élevages de poules pondeuses et poulets de chair. Cela au profit notamment du lavandin.
Question posée alors à l’assemblée : comment développer le potentiel nourricier du Parc naturel régional du Luberon ?
Local pas toujours durable
Autrement dit, pour Nicolas Bricas, chercheur au CIRAD* et titulaire de la Chaire Unesco « Alimentations du Monde », intervenant depuis Montpellier en visioconférence, la question est : comment reterritorialiser notre alimentation ? En évitant l’écueil du repli identitaire, car « produire local » ne suffit pas pour répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux.
Encore faut-il que ce soit sans intrants chimiques (qui produisent davantage de GES que le transport). Et aussi que les revenus des agriculteurs et les salaires soient justes. Enfin, que les consommateurs les plus précaires aient accès à ces produits.
Pour le chercheur, les solutions passent par la mobilisation de tous les acteurs, la prise en compte de la solidarité, bref l’élaboration de véritables systèmes alimentaires durables. Et pourquoi pas à travers la mise en place d’une Maison Solidaire de l’Alimentation et de Conseils citoyens de l’alimentation, comme il en existe à Lyon ou Montpellier ?
Retours d’expériences
De la réflexion à l’action, le Forum est entré dans le concret avec l’exemple de deux collectivités engagées. Miramas, dans les Bouches-du-Rhône, développe ainsi un projet alimentaire pour tous, en économie circulaire, du légume au compostage !
Depuis les écoliers qui jardinent, trient leurs déchets et bientôt élèveront leurs poules, jusqu’aux actions pour réinstaller des agriculteurs, en passant par le projet d’une unité de préparation culinaire qui alimentera 4 communes, avec légumerie et pâtisserie intégrées, une politique cohérente se dessine précisément.
Elle nécessite un fort engagement des élus et un travail cohérent en transversalité et partenariat. Formation, sensibilisation, mutualisation à chaque étape sont indispensables. Et bien sûr, la validation de la démarche par des garanties, telles qu’Ecocert…
A la ville ou à la campagne
Autre exemple de collectivité engagée, la commune de Gignac-la-Nerthe (13), 9800 habitants, avec son initiative, « le Gardenlab ». Là encore, une démarche cohérente, adaptée aux spécificités du territoire. Objectif ? Une alimentation saine et un territoire préservé.
1ère étape, la création d’une Zone Agricole Protégée (ZAP) sur la totalité des terres agricoles de la commune. Plusieurs agriculteurs se sont installés. Puis un point de vente a été créé, ainsi que des potagers partagés et un jardin de semences anciennes. Les enfants bénéficient d’ateliers maraîchage, récoltent les olives et veillent sur le rucher municipal. Le tout grâce au soutien d’autres collectivités et d’associations.
Bref un foisonnement d’initiatives conditionnées cependant à l’épineuse question de l’eau…
Toujours au chapitre des propositions et exemples à dupliquer, Hugues Fortuna le responsable de la restauration collective à Avignon invite l’assemblée, en particulier les petites collectivités à mutualiser leurs ressources. Avec une diététicienne et un coordinateur pour plusieurs communes, promet-il, on peut tout-à-fait résoudre les questions de logistique et se consacrer à l’élaboration de menus locaux, sains et de saison…
Une question ? Une ou des réponses…
Mais le Forum ne se contente pas de proposer des exemples dont on peut s’inspirer. L’après-midi est consacré à répondre concrètement aux questions ou aux obstacles auxquels se heurtent les acteurs de bonne volonté.
A tel élu désireux de préserver le foncier mais en manque de candidats (à l’installation ou à la cession), de savoirs techniques et de financement, un responsable de la SAFER propose compétences et relais de trésorerie ! L’association Terre de liens peut intervenir aussi sur le plan financier, technique et celui des candidatures, tandis que le maire de la commune voisine suggère de travailler ensemble pour éviter la spéculation. Dans la foulée, d’autres associations telles que l’ADEAR 84 proposent des outils pour accompagner des porteurs de projets et un partenariat avec les collectivités.
Reste à chacun d’entreprendre ou de poursuivre les initiatives qui, si elles se fédèrent, dessineront un système alimentaire sain et durable sur le territoire. Le chemin sera encore long. Peu de communes étaient finalement présentes à la journée, de quoi susciter un coup de colère du vice-président du Parc du Luberon à l’égard de ses collègues élus.
*CIRAD : Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) est l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes
Manger sain et durable, pourquoi et comment ?
Le nutritionniste Denis Lairon était une fois encore l’invité du Forum du PAT Luberon. Chercheur émérite à l’INSERM, il est reconnu internationalement pour ses travaux sur la santé, l’alimentation et l’environnement.
Le directeur de recherche a expliqué comment dans les années 50, une forme de révolution s’est produite dans notre alimentation.
Parallèlement à une baisse de produits végétaux (et donc de minéraux et vitamines), une forte hausse de produits animaux et transformés, de même qu’un excès de sucre et de sel ont marqué cette évolution mondiale.
Conséquences : explosion de maladies telles que le diabète et l’obésité (un européen sur deux est aujourd’hui en surpoids ou en obésité).
Ce changement s’est accompagné d’une utilisation massive des pesticides qui se retrouvent aujourd’hui non seulement dans les sols, l’air, l’eau et les productions agricoles mais aussi dans tous les organismes vivants, y compris les fœtus humains. Un usage de produits chimiques qui épuise les ressources et occasionne pollutions, perte de la biodiversité et réchauffement climatique.
Pour le chercheur qui a conduit de nombreuses études sur des cohortes de dizaines de milliers de personnes, il n’y a aucun doute. Plus une alimentation est saine (bio notamment), et plus les humains sont en bonne santé et moins elle a d’impacts sur la planète.
Les dernières recommandations du Programme National Nutrition Santé vont tout-à-fait dans ce sens. Elles préconisent moins de viande, de charcuterie et de sucreries, mais plus de légumes bio, de céréales et de légumineuses… Des conseils sur lesquels le Ministère de la Santé n’a pas jugé bon de communiquer massivement, regrette largement le chercheur.
Témoignages au Forum
Marina Augier et Sophie Delaye sont élus à Saint-Saturnin-lès-Apt. Elles sont là « pour mieux comprendre et savoir comment se mobiliser surtout sur la question du foncier, avec la SAFER ». Dans le village, avec les autres élus, des initiatives ont déjà été prises, notamment par la participation au programme du PNR du Luberon « de la ferme à ta cantine ». La cantinière a reçu une formation, les enfants ont travaillé sur le gaspillage.
L’idée est maintenant de développer l’approvisionnement local et cela passera par la réimplantation d’agriculteurs. Les élus cherchent des outils pour analyser le foncier mais aussi à mutualiser leurs approvisionnements avec les communes voisines.
« Un électro-choc »
Nicolas El Battari lui est venu chercher « un électro-choc, un retournement de situation » ! Agriculteur tout près de Pertuis à la Ferme pastière, il produit des céréales, des légumineuses et des oléagineux et les transforme dans son atelier en farines, pâtes et huile. Il vend dans des magasins bio, de vrac et de producteurs et des AMAP ainsi qu’à la cuisine de Lauris.
« Je suis venu chercher de l’aide, explique-t-il calmement. Mon projet reçoit une bonne estime mais il est menacé. Il y a les conditions climatiques, la crise du Covid et maintenant celle du pouvoir d’achat… sans parler des menaces foncières et de la hausse du prix du bois, du fer et du gasoil » !
Pour un engagement des élus
Alors Nicolas espère trouver des débouchés auprès de la restauration collective, afin de sauver sa ferme. Mais il prévient : « il va falloir accepter l’idée que la souveraineté alimentaire, ça a un coût. Il faut arrêter de penser qu’on peut produire des pâtes pour 1€50 ! Ca, c’est un prix perfusé au pétrole ! Mais on n’est pas dans la vérité des prix. La nourriture a un prix, il faut l’admettre. L’emploi doit être rémunéré à son juste niveau. Alors il faut un geste politique réel de la part des élus. Qu’ils s’engagent sur les prix, à travers un contrat par exemple ».