La construction prévue de deux bâtiments logistiques sur la zone Clesud, à Grans (13), inquiète Cistude, un collectif de protection de l’environnement. Liés à un projet plus global d’essor du fret ferroviaire, ces entrepôts grignotent la Crau et semblent faire peu de cas de leur impact.
Quand le business logistique heurte le bon sens agricole et environnemental, les désaccords sont inévitables… Tel est le télescopage en œuvre dans la zone Clesud, à Grans (13). Dans cette base arrière du port de Fos-sur-Mer, hub de transit international sur l’axe nord-sud (Méditerranée-Europe du Nord) et est-ouest (Espagne-Italie), des millions de tonnes de marchandises passent chaque année.
Containers, citernes, remorques, caisses… s’arrêtent dans cet hinterland de manutention. Certains proviennent du port ou s’y dirigent. D’autres sont entreposés entre deux trajets routiers, ou stockés avant la livraison au « dernier kilomètre ». Le tout s’opère à deux pas de l’autoroute A54, axe vital pour ce trafic.
La Crau, Delta fossile unique
Le hic, c’est que l’essor de cette zone de 280 ha, où règnent en maîtres les leaders logistiques (Geodis, Logidis, XPO…), s’opère aux portes et même à l’intérieur de la Crau. Ce delta fossile unique en Europe, siège d’une avifaune remarquable, n’en finit plus d’être impacté par l’homme. Les parcelles d’élevage ovin et de foin ont été grignotées au fil des ans par l’urbanisme, l’armée (base d’Istres), l’industrie…
L’objet du différend porte sur la création d’entrepôts par la société parisienne Grans Développement. Elle prévoit la construction de deux bâtiments pour fin 2022, sur une emprise de 34 ha. « Soit l’équivalent de 50 stades de football », illustre Christian Marquis, membre du collectif Cistude opposé au projet.
« Ils vont détruire des parcelles de vergers à pêchers et des prairies bocagères du mas Le Grand Beauchamp, ainsi que des haies abritant une faune très riche, comme le rollier d’Europe et des chauve-souris », s’insurge Christian Marquis.
Ferroutage ou camions ?
Les deux entrepôts sont présentés comme entrant dans un projet plus global de développement du fret ferroviaire dans la zone. Mais les opposants en doutent fortement. Sollicitée, la société Grans Développement n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews, renvoyant vers « les autorités administratives locales concernées par le projet ».
Avis réservés de la MRAE et du CNPN
Celles-ci ont émis des avis pour le moins réservés. Malgré le fait que les terrains aient été classés zones constructibles après modification du PLU et qu’un permis de construire a été délivré pour un des deux bâtiments, la Mission Régionale d’Autorité Environnementale (MRAE), dont l’avis n’est pas suspensif, est sévère. Dans son délibéré du 28 janvier 2021, elle relève que « pour Grans Développement, le transfert du fret routier vers le fret ferroviaire reste au stade de l’intention, alors même que ce transfert est un élément de justification des investissements ferroviaires ».
Elle demande à Grans Développement de préciser son engagement sur les mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En clair, rien n’obligerait demain les entreprises exploitantes des deux bâtiments à utiliser le rail, bien que la vocation générale du projet d’extension Clesud et Terminal Ouest Provence (TOP) soit celle-ci.
Stratégie France Logistique 2025…
De son côté, le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) a émis un avis défavorable pour le second bâtiment. «Il ne respecte pas la condition d’octroi [d’une demande de dérogation à la protection des espèces protégées, déposée par Grans Développement !, ndlr] de recherche du moindre impact environnemental », écrit-il. Dans des réponses écrites à ces autorités, l’entreprise se défend. Elle prétend que l’offre de ferroutage élargie incitera quoiqu’il arrive les chargeurs a y avoir recours. Elle détourne aussi la conversation, invoquant une production d’énergie renouvelable par l’installation de panneaux photovoltaïques en toiture. Et invoque pêle-mêle le soutien des collectivités locales, la création d’emplois, le besoin des entreprises locales en stockage et l’inscription du projet dans la stratégie nationale France Logistique 2025.
Deux recours déposés par FNE13
En mairie de Grans, on met aussi ces arguments en avant, sans se focaliser sur les deux bâtiments. « L’ensemble de l’extension est clairement un projet de développement du ferroutage. Il fera baisser le nombre de camions chaque année entre Clesud et le reste de la France de 80 000 », affirme le maire, Yves Vidal. Mais le collectif Cistude est loin d’être convaincu. Parmi ses membres se trouvent des adhérents de la FNE13. L’association a déposé deux recours, l’un contre la modification du PLU, l’autre contre l’autorisation préfectorale délivrée pour l’exploitation du premier bâtiment.
Autre membre du collectif, Jean-Luc Platon, de l’association L’Etang Nouveau, s’inquiète des conséquences du projet sur la nappe phréatique de la Crau. « Elle est fragile et alimentée à 70% par l’arrosage gravitaire pour le foin de Crau. Si on réduit ces prairies, on réduit aussi sa capacité », dit-il.
Problème de société
Au-delà, Christian Marquis s’interroge. « Est-il normal de continuer à construire des entrepôts pour servir les intérêts des grands opérateurs de vente en ligne ? Cela pose aussi un problème de société. Et est-ce utile de faire cela ici, alors qu’il nous reste encore un oasis de biodiversité ? ». La Crau, sacrifiée sur l’autel de l’économie mondialisée ?