La start up aixoise Cearitis innove dans la lutte contre la mouche de l’olive en inventant un système durable mimant les phénomènes naturels. Solena Canale Parola, cofondatrice de l’entreprise, nous présente ce nouveau dispositif prometteur et les dessous de cette aventure.
Hébergée au Technopôle de l’Environnement Arbois Méditerranée, à Aix-en-Provence, Cearitis a été créée début 2020 par Marion Canale et Solena Canale Parola. Comme leur nom le laisse penser, ces deux entrepreneuses sont aussi cousines. Leur mission première : lutter contre la mouche de l’olive, Bactrocera Oleae, un ravageur impactant fortement la production. A l’occasion du CES de Las Vegas*, en janvier, Cearitis a dévoilé l’ensemble de son dispositif dont PIRA (le Piège Innovant contre les Ravageurs Agricoles), développé à l’issue de cinq années de R&D et désormais breveté. Elles ont reçu le prix CES Innovation Award 2022, catégorie « durabilité, écoconception et énergie intelligente », les mettant sur le devant de la scène.
Solena Canale Parola revient sur cette expérience pour Bleu Tomate.
Bleu Tomate (BT) : Pourriez-vous nous raconter l’histoire de Cearitis ?
Solène Canale Parola (SCP) : Nous avons créé cette entreprise il y a deux ans. Son histoire est avant tout familiale : c’est celle de deux cousines, petites filles d’un oléiculteur en Italie. Etudiante en ingénierie biologique à Sup’Biotech, en banlieue parisienne, Marion a mené un projet sur la mouche de l’olive. Elle a trouvé une solution alternative aux pesticides et insecticides. Nous associer pour poursuivre ce projet après ses études était une évidence pour nous. D’autant plus que nous avons des compétences complémentaires : elle est ingénieure tandis que j’apporte le côté marketing.
BT : Quelle est cette solution que vous proposez ?
SCP : La solution fonctionne à deux niveaux : une attraction et une répulsion. Ce sont deux phénomènes qui existent déjà dans la nature. Une substance produite par l’arbre attire le ravageur sur son fruit pour pondre. Une fois l’œuf dans le fruit, la mouche y laisse une trace répulsive pour prévenir les autres individus et limiter le nombre de pontes par fruit. Nous avons créé des molécules imitant ces deux substances. La solution répulsive se diffuse sur les parcelles. A l’extérieur est installé un piège PIRA, qui diffuse la solution attractive pour garder les ravageurs loin des oliviers.
BT : Quels sont les résultats de ce dispositif ?
SCP : Nous l’avons testé au cours de la saison 2021 sur des parcelles à Maussane-les-Alpilles, Font vieille et en Camargue. Nous avons pu protéger plus de 90% d’entre elles. Aujourd’hui, il faut savoir que les pesticides et insecticides les protègent à 96% et les protections biologiques à 65%. Nous recherchons de nouvelles parcelles à tester en 2022, en essayant de faire varier les caractéristiques des lieux, pour comprendre ce qui marche ou non.
BT : Quel est l’impact sur l’homme ou l’environnement de ces substances ? Comment le mesurez-vous ?
SCP : Il n’y a pas d’impact négatif. En amont, nous sélectionnons avec soin nos produits. Nous avons choisi des molécules naturelles, présentes dans la nature et les solutions à base de ces molécules sont produites en chimie verte**. Pour le dispositif PIRA, nous travaillons avec des prestataires 100% français, autant pour la solution que pour le piège.
Nous avons commencé le processus d’homologation dans nos 3 parcelles pour valider nos contrôles internes et avoir une autorisation pour commercialiser le dispositif. Nous voudrions être labellisés biologique. Tout cela prend du temps et est encore en cours.
BT : Vous souhaitez donc commercialiser le dispositif : où pourra-t-on l’acheter ? A quel prix ?
SCP : Nous avons prévu une mise en vente courant 2023 – 2024. Nous voudrions faire de la location plutôt que de l’achat, avec un système d’abonnement pour payer la solution. Nous n’avons pas de prix fixe car il faudra réaliser des devis adaptés aux besoins des clients. Ce n’est pas la même protection pour une grande parcelle que pour une petite. En France, les oléiculteurs pourront acheter le dispositif directement auprès de Cearitis, et en Europe par des distributeurs agréés.
BT : Comment l’oléiculteur appliquera concrètement ces solutions sur ses parcelles ?
SCP : Nous accompagnerons l’installation du piège PIRA qui est un peu technique. Une fois posé, l’oléiculteur aura simplement à installer une recharge en début de saison. La diffusion sera autonome pendant toute la saison de culture grâce à l’automatisation par système de panneaux solaires. Ce qui est intéressant : la solution se pulvérise grâce à des capteurs de luminosité qui sélectionnent les moments où la mouche vole (quand il ne fait pas trop chaud, donc plutôt le matin et en fin de journée). La solution répulsive se fait avec un pulvérisateur comme le font aujourd’hui les oléiculteurs avec d’autres produits. La différence est que la formule que nous proposons est naturelle.
BT : Vous vous êtes présentées lors du CES à Las Vegas et avez même reçu le CES Innovation Award 2022 : cela témoigne d’une volonté d’internationalisation ?
SCP : Nous sommes totalement dans un développement international. Rien que pour la mouche, l’Europe, l’Afrique et l’Amérique ont un fort besoin de lutter contre le ravageur. C’est la première année que nous postulions au CES. Nous recherchions une bonne visibilité pour la commercialisation qui aura bientôt lieu. Nous avons été très sollicitées sur le salon et le retour est intéressant car cela nous a permis d’avoir de nombreux contacts.
BT : Avez-vous déjà un prochain projet de recherche ?
SCP : Nous sommes déjà retournées dans notre laboratoire. Nous travaillons sur deux nouveaux ravageurs, la mouche méditerranéenne des fruits et la mouche des fruits rouges. Nous expérimenterons nos nouvelles solutions à partir de mai 2022 sur terrain.
* Le CES (Consumer Electronic Show) est l’événement mondial le plus important consacré à l’innovation technologique en électronique grand public.
** La chimie verte est une pratique de la chimie qui cherche à réduire et éliminer l’utilisation ou la synthèse de substances dangereuses et néfastes pour l’environnement