Lymphomes, myélomes, leucémies : ces maladies du sang sont en hausse de 10 à 15% par an à l’hôpital d’Avignon. Pour savoir pourquoi, chercheurs et praticiens ont déposé un projet de recherche. Financement refusé sans explication !
On compte une douzaine de signatures au bas de la lettre adressée à 5 Ministères (Agriculture, Santé, Travail, Environnement et Recherche). Ils sont médecins du travail, praticiens hospitaliers, chercheurs à l’INSERM ou au CNRS, cadre de santé et assistante sociale. Ils sont en colère, ou au moins dans l’interrogation.
Un projet et une équipe solides
Déposé au printemps dans le cadre du plan ECOPHYTO II (lancé par le Ministère de l’Agriculture), leur projet avait tout pour réussir. Il s’inscrivait parfaitement dans cet objectif du plan : « Evaluer et maîtriser les risques et les impacts : mieux connaître les expositions ». Il réunissait chercheurs et praticiens, et s’appuyait sur un service hospitalier, ce qui n’est pas si courant. Enfin, il répondait à une carence soulignée par les agences de santé, celle des études épidémiologiques, assez rares.
Dans un premier temps, classé « Priorité1 » après évaluation scientifique, le projet semble bien parti et le financement assuré. Mais fin septembre, l’équipe apprend par un mail de la commission de sélection de l’appel à projet que son étude n’est pas retenue. Sans explication.
Incompréhension et questions
Inadmissible, pour Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’INSERM à Paris, qui parle d’opacité dans la décision. La composition du jury n’est pas connue. Et de rappeler le scandale de l’amiante et son cortège de victimes.
Pourtant, depuis 10 ans, la scientifique mène une étude analogue à celle refusée aujourd’hui, en Seine-Saint-Denis, sur des patients atteints de cancers des voies pulmonaires. Le projet GISCOP 93, tout-à-fait reconnu, a d’ailleurs fait l’objet de publications scientifiques.
Alors, les signataires demandent des éclaircissements. Mais ils analysent aussi ce refus « comme une décision de nature politique, qui malheureusement contribue au maintien de l’invisibilité des maladies liées à l’exposition professionnelle et environnementale aux pesticides. »
Avignon : Pourquoi une telle hausse des maladies du sang ?
Une invisibilité qui interpelle les praticiens du service oncologie-hématologie de l’hôpital d’Avignon. Eux constatent une hausse de près de 500 nouveaux cas par an pour ces maladies et trouvent parmi ces patients une surreprésentation de certaines professions : agriculteurs, professionnels de la route ou salariés du nucléaire.
Et ils veulent savoir : cette augmentation est-elle la même partout ? Ou bien leur service attire-t-il plus de patients ? Ou bien la population du Vaucluse et alentours est-elle plus exposée que d’autres à ces produits dont on sait qu’ils favorisent ces maladies ?
Des maladies professionnelles non reconnues
Une invisibilité qui entrave la reconnaissance de maladie professionnelle. Pour le Dr Nicolas Cloarec, du service oncologie-hématologie de l’hôpital d’Avignon, cet aspect n’est pas à négliger. D’ailleurs, le service travaille à une démarche d’accompagnement des patients concernés.
Mais aucune réelle étude épidémiologique n’est à leur disposition, leurs propres statistiques n’ont pas la fiabilité d’une enquête scientifique. Pour répondre à cette question de l’incidence de l’exposition professionnelle sur les maladies du sang, ils comptaient sur le projet d’étude et le financement de 230 000€ sur 3 ans demandé.
Malgré ce refus, l’équipe ne baisse pas les bras. La Ligue contre le Cancer finance le début de l’étude pour 100 000€. Le groupe de travail élabore le protocole d’enquête. Et le projet sera soumis à de nouveaux appels d’offre dès que possible.
Pour aller plus loin
Le projet CAN EXPO PEST », visait à « identifier les expositions professionnelles et environnementales aux cancérogènes des patients atteints de cancers hématologiques pris en charge au centre hospitalier d’Avignon : le cas des expositions aux pesticides ».
Objectif : Retourner dans le passé des malades et reconstituer leur parcours professionnel et résidentiel : leur emploi, les produits utilisés, de quelle manière, à quelle époque, leur lieu de vie et les environs, afin de connaitre la réalité du travail des personnes exposées. Un travail soumis ensuite aux ergo-toxicologues, toxicologues, ingénieurs de prévention, mais aussi sociologues, géographes, médecins du travail. Des scientifiques capables de croiser toutes les données et d’en tirer des enseignements scientifiques.