Joseph Weinzaepfel, directeur de Campus Nature Provence* et Serge Banet, responsable de l’exploitation agricole du site, sont en première ligne de l’éducation agricole en région Sud PACA. Avec la crise sanitaire, ils évoquent les évolutions nécessaires de la formation, déjà anticipées.
Pensez-vous que la crise sanitaire aura des répercussions sur notre façon de penser l’agriculture ?
Joseph Weinzaepfel (J.W.) : Il y avait déjà un « avant », avec un mouvement marqué par la relocalisation des productions et les circuits courts. Les Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) et la loi Egalim ont aussi impulsé une nouvelle dynamique. La crise n’a donc pas initié cette évolution mais elle ne fera que la conforter.
Serge Banet (S.B.) : Avec le coronavirus et le confinement, tout le monde s’est rendu compte de l’importance des circuits alimentaires de proximité. Les consommateurs ont plus confiance lorsqu’ils connaissent les filières d’approvisionnement. Dans un contexte de crainte généralisée, cette tendance sera renforcée.
Au niveau pédagogique, aviez-vous déjà anticipé la tendance à « l’agriculture durable » ?
S.B. : Parmi les outils de formation mis en place, le BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Entreprise Agricole) « Métiers de l’alimentation et de l’agriculture », dispensé notamment au CFPPA de Gardanne, accueille majoritairement un public de jeunes et de jeunes adultes tourné vers l’installation ou la reprise d’exploitations bio en circuits courts.
J.W. : Sur notre exploitation agricole d’application, à Gardanne, nous avons depuis la rentrée 2019-2020 inauguré 0,5 ha de maraîchage bio. Les produits cultivés sont destinés à alimenter la cantine du campus.
Et qu’en est-il de la formation initiale au lycée ?
J.W. : Un parcours pédagogique spécialisé doit être adapté en permanence aux besoins de la profession. Nous devons donner aux élèves une vision élargie de l’agriculture, conventionnelle et biologique. Nous avons introduit des référentiels bios et de circuits courts dans nos enseignements.
Aussi, depuis quelques années, nous organisons pour nos élèves des visites dans des fermes travaillant en agriculture biologique. Notre propre exploitation, à Gardanne, produit du vin bio depuis 2010 et elle est certifiée HVE (Haute Valeur Environnementale) niveau 3, le degré le plus élevé. A Marseille enfin, nous disposons d’1 ha de surface sur laquelle nous allons démarrer cette année un projet de maraîchage bio. Il sera destiné à sensibiliser nos élèves à ces pratiques, ainsi que ceux de l’établissement voisin de Marseilleveyre. Pour ce projet, nous sommes en lien avec l’association marseillaise Cultures Permanentes, versée dans la transition écologique.
Mais les jeunes fils ou filles d’agriculteurs issus du monde agricole conventionnel que vous accueillez dans vos lycées, sont-ils porteurs aussi d’un nouveau discours ?
J.W. : Je pense que oui. J’observe que la culture du développement durable et des pratiques agricoles alternatives sont de plus en plus fortes chez ces jeunes.
S.B. : Depuis la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014, qui permet la mise en œuvre de l’agro-écologie, un sentiment nouveau grandit, y compris chez les plus conservateurs. Tout en gardant l’aspect économique en point de mire, la prise de conscience que les pratiques doivent changer est indéniable. Et le corpus administratif est là pour les accompagner.
Finalement, cette crise sanitaire, en renforçant une évolution déjà engagée, est « un mal pour un bien » ?
S.B. : Ne va-t-on pas tourner le dos à tout ça quand la crise sera passée ? C’est un risque mais personnellement je n’y crois pas. Pour moi, le virage a été pris.
Plus globalement, que faut-il faire pour enraciner le changement ?
J.W. : Les processus de changement mettent en général 10 à 20 ans pour se réaliser. Il faut persister dans cette voie, qui est un objectif national. A notre niveau, cela doit s’accompagner d’une pédagogie nouvelle.
S.B. : A notre petite échelle d’exploitant agricole, il faut démontrer la pertinence du maraîchage bio pour pouvoir le décliner vers d’autres cultures. Nous produisons ainsi du blé dur, du maïs et du soja et venons de démarrer une production en circuits courts avec une agricultrice locale disposant d’un petit moulin. Nous sommes aussi en train d’intégrer un projet de blé dur en bio.
Vous êtes convaincus par la nécessité de cette transition. Du coup, comment se situe Campus Nature Provence dans le paysage de la formation agricole en France ? Un pionnier ?
S.B. : Je pense que nous sommes en avance et un peu avant-gardistes. Ce que nous faisons conduit à des évolutions dans la profession et les usages.
J.W. : Je voudrais rappeler que nous avons fait venir Pierre Rabhi à Valabre, en 2016. C’est quelqu’un de très apprécié par le public. Par ailleurs, la Métropole Aix Marseille-Provence trouve que nous sommes tout à fait en phase avec son PAT !
A titre personnel, mettez-vous régulièrement en pratique ce pour quoi vous œuvrez à titre professionnel ?
J.W. : Depuis près de 20 ans, j’achète des produits à l’AMAP bio qui livre au lycée de Valabre. Et nous n’aurions pas tous ces projets éducatifs si nous n’étions pas nous-mêmes engagés !
S.B. : Pareil ! Je rajouterai que cela est vrai aussi pour un certain nombre de nos personnels, même ceux qui ont été biberonnés plus jeunes au conventionnel. Tout ceci est une évolution sociétale naturelle.
Pour aller plus loin
*Campus Nature Provence est un groupement de trois établissements de formation agricole : le lycée de Valabre (enseignement général et technologique agricole), à Gardanne ; le lycée des Calanques (nature, paysage, environnement), à Marseille ; le Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles (CFPPA), à Gardanne et à Marseille. Le Campus comprend aussi une exploitation agricole d’application, à Gardanne. Placé sous la tutelle du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Campus Nature Provence forme près de 600 élèves aux métiers du vivant : terre, nature, végétal, alimentation, agriculture, animal, mer… mais aussi à des métiers de l’environnement et des services à la personne et aux territoires.