La commune des Bouches-du-Rhône a pris cet automne un arrêté pour interdire l’usage des pesticides agricoles. Auprès des agriculteurs, la décision suscite de l’adhésion et quelques oppositions. Par delà les divergences, c’est une façon de susciter le débat écologique.
Aujourd’hui, en France, quelques communes ont mis en place une politique agricole tournée vers le bio et le respect des terres. Mouans Sartoux, la pionnière, a ouvert la voie en 2010 dans les Alpes-Maritimes, en créant sa régie agricole bio. Mais aussi Langouët, en Bretagne, qui a relancé les débats passionnés, cet été, en votant un arrêté anti-pesticides cassé par l’État.
Conscience écologique
Les pesticides forment un problème complexe. Leurs défenseurs soutiennent qu’ils ont permis, dès les années 1960, d’augmenter la productivité agricole et qu’il est aujourd’hui difficile de s’en passer. Mais en 2019, les questions environnementales s’invitent systématiquement dans les débats agricoles, changement climatique et conscience écologiques obligent. Le monde paysan semble ainsi se scinder en deux : d’un côté les « traditionnels », adeptes d’une culture productiviste – parfois coincés dans leur modèle économique ; de l’autre, les biologiques, partisans d’une agriculture durable.
Malgré cette cassure, des voix tentent de s’élever pour éviter les clivages sur les territoires, stopper l’agribashing et accompagner l’agriculture de façon plus harmonieuse vers le biologique. C’est le cas d’une commune des Bouches-du-Rhône, Gignac-la-Nerthe.
« Je veux rassurer la population sans l’opposer à nos paysans »
Dans cette petite ville périurbaine située à quelques kilomètres au nord de Marseille, entre la Méditerranée et l’étang de Berre, Christian Amiraty, le maire, a soumis au début de l’automne à son conseil municipal un arrêté anti-pesticides, qui s’inscrit dans un programme plus global, « Gignac-la-Nerthe Objectif Bio ». Le 17 octobre, la majorité du conseil municipal (hormis 2 abstentions, des élus du RN) a voté pour cet arrêté.
« Nous voulons rassurer la population sans l’opposer aux paysans », insiste le maire. « La commune a connu un riche passé agricole et a envie de le voir renaître ». Depuis 2008, refusant une urbanisation galopante, la mairie rachète des terres agricoles mais aussi des fermes, en partenariat avec la SAFER, grâce aux aides du Conseil départemental et de la Région. Et elle installe des paysans en agriculture biologique en partenariat avec la Chambre d’agriculture.
Objectif : 100% bio d’ici 6 ans
Actuellement 8 agriculteurs sont actifs à Gignac-la-Nerthe, dont 4 travaillent en bio. « Je souhaite accompagner tous les agriculteurs de la commune à une conversion à l’agriculture durable plus respectueuse de la nature et des êtres humains. Je ne veux surtout pas les mettre en danger, la première étape serait de passer en HVE d’ici 3 ans puis au 100% bio d’ici 6 ans ».
Un délai qui semble court et complexe pour certains. « La Chambre d’agriculture n’est pas sûre de nous accompagner dans cette conversion. Des agriculteurs sont contre la motion anti-pesticides et cette conversion, nous les avons tous rencontrés », dit le maire.
Des pour et des contre… le dialogue est ouvert
Interrogé sur la volonté de la mairie de passer au 100% bio d’ici 6 ans, Laurent Rastoin, viticulteur et oléiculteur dont la famille est établie sur Gignac depuis 3 générations, se dit surpris de cette décision. « Dans le contexte actuel, nous subissons beaucoup, je suis fatigué qu’on nous montre du doigt. Nous, les agriculteurs, nous organisons le paysage, nous enlevons les décombres de nos champs, nous bloquons les feux avec nos cultures. Aujourd’hui, on nous fait un procès.
L’agriculture est un modèle économique lent. On plante des oliviers et on ne récolte que 10-12 ans après. J’ai rencontré le maire. Il a de bonnes intentions, le Garden Lab [voir plus loin, ndlr] est une idée géniale, les jardins partagés aussi, mais l’agriculture n’a rien à voir avec le jardinage ! J’ai été choqué que le vote ait été pris à l’unanimité, que les élus aient voté contre la loi. Si les produits sont aussi dangereux, pourquoi sont-ils mis sur le marché ? J’ai suivi des formations et j’ai les qualifications pour les utiliser, et là on me l’interdit. On m’impose le bio, c’est tout un nouveau réseau commercial à recréer. La politique européenne me met déjà assez de bâtons dans les roues… ».
Maîtriser le foncier agricole
D’autres, nouveaux arrivants sur la commune, profitent plutôt de cette politique. C’est le cas de Thibaud Beysson, maraîcher en bio. « Pour moi, cela a été une chance de trouver 3 hectares et demi en location. Faire du bio est une évidence, surtout en petites surface et pour la vente directe. J’en vis. Je suis ravi qu’il y ait eu cette démarche et que les communes maitrisent leur foncier agricole. Les Bouches-du-Rhône sont un département compliqué pour s’installer, la terre est hors de prix. Les gens sont de plus en plus sensibles au manger bio et local. Je vends ma production dans un local mis à disposition de la mairie quelques heures par semaine », dit-il.
Maraîchage en agroforesterie
Même discours pour Julie André, néo-paysanne dans la commune. « Je suis en reconversion professionnelle, j’ai une formation en environnement mais l’agriculture m’attire depuis longtemps. Je démarre doucement une activité de maraîchage en agroforesterie, en gardant pour l’instant mon activité de conseil. Avec le réchauffement climatique, l’arbre me parait très important pour le futur. Au moment où j’engageais ma reconversion, on m’a mise en lien avec le maire et son projet, que j’ai trouvé intéressant.
J’ai beaucoup évolué par rapport au fait de ne pas être propriétaire, je sais que je réduis les risques. La location offre ce confort. Je ne jette pas la pierre à ceux qui travaillent la terre en conventionnel. La réalité est que le bio ne peut pas nourrir tout le monde. Mais il est important de savoir que les sols ont été tués par la chimie et qu’il faut se préparer à une transition. Sur le fond, je comprends l’arrêté mais je n’en connais pas les contraintes. Je vais travailler avec des préparations naturelles pour aller dans le sens du vivant ».
Le Garden Lab, un engagement militant
En plus de l’arrêté anti-pesticides et de sa politique foncière, la commune a décliné un projet de Coulée verte piloté par un comité citoyen de 50 membres. Il rend vie à un parcours qui relie le cœur du bourg au quartier de Laure. L’itinéraire est devenu aussi un projet agricole, avec 50 parcelles de potagers partagés, un « Garden Lab » pédagogique mais aussi un conservatoire de graines anciennes soutenu par l’association Graines de Oaï. Concept déclinable à l’envi, un Garden Lab de plantes médicinales va bientôt voir le jour. En prime, la mairie prévoit de planter 1 000 arbres dans la commune.
S’agissant de la distribution des produits agricoles, les équipes municipales travaillent à établir un marché public pour permettre aux agriculteurs bios de vendre aux écoles. La production doit être suffisante pour les 1 000 repas par jour distribués aux enfants. C’est une construction à long terme, car aujourd’hui les repas sont élaborés avec seulement 25% de bio.
L’écologie et l’agriculture au cœur des municipales
Les élections municipales de mars 2020 arrivant vite, le maire espère que Gignac-la-Nerthe fera des émules. « L’agriculture et les agriculteurs sont laissés à l’abandon par les pouvoirs publics. Ce devrait être une grande cause nationale. Il faut partir du local, des territoires, des communes. Celles-ci doivent fonder leur propre projet agricole et le faire remonter au département, pour qu’il s’inscrive dans le plan climat et permette de fixer des objectifs.
Un projet agricole métropolitain existe mais il faut qu’il soit nourri par les projets agricoles communaux. Mouans Sartoux a été la première et peut servir d’exemple. Des maires ont bien compris la nécessité de mettre en avant l’environnement. Vitrolles y est sensible. D’autres communes me disent que le projet n’est pas réalisable… Ils me parlent d’agriculture raisonnée. Utiliser les pesticides raisonnablement, c’est ridicule ».
Confiant pour le futur
Le premier édile est toutefois confiant pour l’avenir. « Le Conseil départemental et la Région nous ont permis d’acheter des terres, la politique est très encourageante. Tous les dossiers présentés ont été acceptés. Je pense que l’écologie doit être universelle », conclut ce grand-père, pour qui la venue au monde de ses petites-filles a été un déclencheur dans sa prise de position.
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A l’heure où nous bouclons cet article, l’arrêté anti-pesticides de Gignac-la-Nerthe n’a pas été attaqué par le tribunal administratif de Marseille.